Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
tremblait, la solive brûlait son épaule. Tinchebraye et Joubert, immobiles, attendaient. « Si ce blanc-bec devine qui nous sommes, nous mourrons ! » Les bouches brillaient entre les jouées des barbutes, et ces deux hommes exhalaient un air de fatigue et d’ennui.
    « Bon sang, Argouges, avance ! Tu foires… Avance ! » Il éprouvait deux sensations rudes, contradictoires : il jouait à un jeu terrible.
    — Va pla ! dit le jeunet en s’adossant au parapet.
    Chancelant sous leur fardeau, Tinchebraye et Joubert s’enfournèrent sous la voûte. Ogier se félicita de les avoir conviés à se vêtir aussi mal que lui : chaperon informe, plastron de cuirasse poudreux au-dessus d’un sarrau déchiré ; chausses sales, heuses plus sales encore, et l’épée nue, suspendue à une belière de cuir renforcée de petits rivets, pour en faire un immédiat usage.
    Ils avancèrent sur le tablier grossièrement pavé. À dextre, la lune se baignait dans l’eau immobile où quelques feux tremblotants se trempaient. Une île longue, large [23]  ; quelques Anglais y cantonnaient. Ogier entrevit une sorte de motte obscure et fut écœuré par une puanteur soudaine. Était-ce en ce lieu que les citadins venaient vider leurs tinettes ? Le Clain, de nouveau, la lune et les feux ; et fortement enracinée, la seconde tour, pareille à l’autre, mais vide, apparemment, de gardiens.
    — Rien, chuchota Tinchebraye… À dextre, les degrés qui mènent en contrebas…
    L’escalier était roide ; ils s’espacèrent les uns des autres pour avoir plus d’aisance à porter leur charge. Ogier, le dernier à descendre, sentit sa sueur poivrer ses yeux et ses paupières.
    « Nous voici dans la fourmilière anglaise… Que de malandrins !… Aucun ne nous dit rien ; il est vrai que nous sommes comme eux : des portefaix ! »
    Les assiégeants ployaient sous différents fardeaux : des carquois pleins de sagettes, des tonnelets, des hottes et panières emplies à ras bord de galets ramassés sur la rive et destinés aux frondeurs. Certains serraient sous leurs bras des harnois de mailles enlevés aux trépassés dont d’autres tiraient les corps entassés par deux ou trois sur des claies. À trente ou quarante toises du trébuchet endommagé, abrités dans un enclos de mantelets, les blessés intransportables râlaient, gémissaient, hurlaient quelquefois. Blandine entendait-elle ces rumeurs et ces cris ?
    « Pourquoi les créneaux sont-ils vides de guerriers ? Avec leurs arcs et arbalètes, les Poitevins pourraient occire moult assaillants ! »
    Malgré les plaintes des mourants et les lamentations des malchanceux livrés aux brûlures des plaies, des coups et des écrasements ; malgré les plaintes de ceux qui refusaient la malemort, on riait un peu partout car on était certain de franchir les murailles et de punir ces guerriers et citadins qui, jusqu’ici, les avaient bien défendues.
    — Saleté de guerre !
    Joubert se déchargea de sa poutre et, toujours à voix basse :
    — De près, messire, cette perrière est plus grande et plus malade qu’elle ne le paraissait de l’autre côté de l’eau.
    Il avait, le premier, atteint l’engin. Celui-ci semblait haut de trois toises et demie, large de deux, à sa base. Tous reprirent leur souffle dans son ombre. D’un geste, Ogier imposa le silence au pennoncier trop disert.
    — Voyez, dit-il, la tour où nous venons de passer. Deux guisarmiers la gardent, maintenant… Nous avons eu la bonne chance avec nous : ils n’étaient pas loin ; peut-être à ce feu, là-bas, où l’on boit et mange…
    — Je leur ferai bien manger mon épée ! dit Tinchebraye. Tournons autour de cette machine comme si nous cherchions l’endroit où nous commencerons la réparation…
    — Je n’aurais pas eu plus chaud, dit Joubert, en traversant les flammes de l’enfer.
    Ogier, enfin, déposa sa solive. Il suait et pourtant tout lui semblait glacé : l’air, le vent, le jambage de chêne grossièrement équarri contre lequel il s’appuyait pour reprendre haleine. Il considéra les chantilles éclatées de l’épaisse charpente, la traverse-butée rompue, les chaînes et les cordes relâchées autour des treuils délogés de leurs paliers. L’immense cuiller de bois recevant les munitions, les aisseliers et les chevrons soutenant la verge de lancement avaient chu ainsi que la huche [24] dont la retombée libérait les projectiles. Ployé sous son madrier,

Weitere Kostenlose Bücher