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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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discorde. « Sale bête ! » devait-elle enrager tout au fond de sa gorge. Eût-elle parlé que c’eût été d’une voix méconnaissable, pleine d’un chagrin léger et d’une âpreté lourde…

III
    Sous un ciel blanc et comme vide, la neige enveloppa Gratot une semaine. Un froid cinglant l’avait durcie, vernissée, le soir même de sa tombée, de sorte que dans la cour, pourtant jonchée de paille aux endroits de passage, les chutes furent nombreuses. Isaure se démit un bras en revenant du puits. Madeleine Gosselin la soigna.
    Des grésillins pendaient aux doublis [226] des toitures comme des larmes ou des épées de cristal. Sous les coups du vent accouru de la mer, la cloche de l’église tintait, et des portes mal closes claquaient contre leur chambranle. Parfois, un cheval hennissait. Chaque matin, sur la blancheur épaisse ou éparpillée lors de la nuit, le soleil jetait ses lances ensanglantées. Seul, Godefroy d’Argouges accédait au faîte de la tour de la Fée pour, droit et superbe, défier les éléments qui, après les routiers de Blainville, cernaient sa forteresse. Il semblait un privilégié. La nature lui parlait un langage autrement net qu’à n’importe qui. Les plaintes de la bise lui récitaient des histoires. Il accueillait avec une sorte de plaisir les troubles émois de chaque souffle glacé, les soubresauts des ramures fustigées à tel point qu’elles perdaient leur blancheur : ils le régénéraient. Bien que répugnant à mettre des gants, il était l’un des rares à ne point souffrir des pornions [227] dont se plaignaient surtout les femmes.
    Uniformément pétrifiées, les douves attirèrent quelques audacieux : Joubert, Gardic, Delaunay et Mahé y firent chaque jour des glissades. Leurs cris montaient dans l’air sec qui poivrait les yeux et les narines tandis qu’appuyés au parapet de la jetée, soudoyers et serviteurs emmitouflés dans une couverture assistaient à leurs jeux, riant lorsque l’un d’eux achevait sa glissée sur le dos, le séant ou la hanche.
    — On peut être heureux en toute saison, dit Godefroy d’Argouges en les voyant s’ébattre ce matin-là. Mais tu devrais les prévenir, mon fils, que l’eau dégèle un tantinet… et que la glace va se rompre.
    On était le 10 décembre, après la messe. À deux reprises, de leur vol lancéolé, des oies cendrées avaient effleuré la tour de la Fée. Comme deux attardées passaient, le vieux baron les désigna de l’index :
    — Elles vont droit sur Pirou… Le temps va changer.
    Effectivement, les nuées bleuirent. Le vent d’est s’adoucit. Un soleil mat, rond et d’un gris sale comme une peau de tambour, réapparut. Ses clartés pâles, hésitantes, suffirent cependant pour amollir la neige. Elle glissa, de jour, sur la pente des toits pour s’y convertir, le soir, en longs écheveaux de verre. L’herbe pointa dans la cour et le linceul abandonna les tombes. On fit sortir les chevaux. Sous leurs fers, le sol devint brun et gluant ; on y enfonçait jusqu’aux chevilles et y laissait ses socques. Les robes des destriers, sommiers, juments fumaient comme au sortir d’immenses étuves.
    — Maintenant, dit Joubert, nous allons vers le printemps… Pas vrai, messire ?… Décembre est bien entamé : nous voici au dix-huit…
    — Ne te réjouis pas trop : Noël est toujours rude, et à la Saint-Hilaire [228] , j’ai connu dans ma jeunesse prime des froids pires que ceux que nous avons subis !
    Ogier se tourna vers la fenêtre de sa chambre ; Blandine qui venait de l’ouvrir, remua la main.
    — Veux-tu prendre l’air ?… Je peux te faire seller Hautemise…
    — Oh ! non : sans pelisson fourré, je resterai céans jusqu’au printemps.
    C’était un refus formel. Joubert compatissant fit une tentative :
    — Comme vous êtes pâle !… À votre place, dame…
    — Abstenez-vous de vous y mettre, Joubert !… Occupez-vous de la bannière et de vos armes… C’est tout ce à quoi vous êtes bon !
    Ogier rit du dépit de son pennoncier, et comme Aude arrivait en croupe du cheval de Thierry, il regarda avec envie ce beau-frère tranquille et cette femme que les ténèbres de la porte charretière obligeaient à cligner de l’œil, ce qui donnait à sa gaieté une expression moqueuse.
    — Eh bien, vous n’avez pas perdu de temps pour nous visiter après cette gelée !… En avez-vous souffert ?
    — Nullement… Nous aurions brûlé une forêt dans

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