Les noces de fer
ainsi… Et puis, il fait trop froid pour de pareilles choses…
Elle disait cela d’une voix douce, amoureuse – et renonçait ! Pour ajouter dans un murmure :
— Si ce temps-là continue, m’achèteras-tu ce pelisson fourré ?
— Fourré comment ? dit-il la main mouvante. Ainsi ?
Elle soupira et ses jambes se firent tenailles davantage pour lui faire mal que pour interrompre la caresse.
— Me le paieras-tu ?
— Je suis presque démuni… Même pas de quoi solder mes hommes.
— Pourquoi ne vas-tu pas dormir dans leur logis ?… Tu les aimes tant !
Brusquement Blandine dénoua leur étreinte et lui tourna le dos.
Il en fit autant.
La colère et la déception le ravageaient. Si elle l’avait aimé vraiment, elle aurait compati à son embarras et se serait serrée plus étroitement contre lui. Elle se refusait, décidément, à le comprendre et semblait déterminée à lui faire la guerre.
*
« Attendre », se disait Ogier de loin en loin.
Comme au cœur de l’hiver on languit du printemps, il espérait pour les jours à venir une bonace dans la froideur de Blandine. Comment, grâce à quel événement se produirait-elle ? Pour qu’une trêve interrompît leur désunion, il eût fallu que leurs imaginations parvinssent à coïncider sur des scènes d’intimité paisible. Or, son épouse ne condescendrait point à cet accord. Jamais il n’avait tant sondé l’abîme du temps perdu. L’amertume de l’échec le plongeait dans une sorte de furibonderie où, à force de ressasser ses griefs envers Blandine, il désespérait d’obtenir enfin le bonheur qu’ils méritaient l’un et l’autre. Leur intimité s’était déflorée, décharnée. Ils découvraient que l’amour n’était possible qu’entre deux êtres issus d’univers semblables, s’exprimant et s’épanchant avec une même franchise, « sans rien craindre des conséquences d’icelle ». Se pourrait-il qu’un jour ils pussent échanger de nouveaux sourires et de nouveaux propos dépourvus d’animosité ? Il en doutait, hélas ! et certainement elle aussi. Même s’ils recouvraient l’entente du passé, leurs sentiments ressuscités resteraient malades d’une angoisse dont il n’osait évaluer la teneur.
La désillusion accroissait sa lucidité. Il se sentait de plus en plus sans besoins, sans courage et surtout, surtout, dépourvu de ces envies dont l’accomplissement avait enchanté, embrasé Blandine avant que de lui répugner. Un matin, l’idée lui vint qu’elle ne l’avait épousé que pour fuir sa famille. C’était sans doute une absurdité, mais cette hypothèse empoisonnée ne cessa dès lors de hanter son esprit.
Sauf à table, ils ne s’adressaient plus la parole. Leurs quérimonies et rancunes s’affrontaient jusque dans leurs regards. La froidure du temps envahissait leurs cœurs et rien ne semblait devoir les réchauffer. Parfois, les mises en garde de Benoît Sirvin revenaient agacer la mémoire d’Ogier. Il s’obstinait à se dire que le mire de Chauvigny s’était mépris sur la nature profonde de son épouse et qu’à force d’escarmoucher en vain, elle finirait par s’abonnir. Rien n’était moins certain. Il vivait avec, au-dessus de lui, le risque suspendu d’une désunion complète mais se refusait à en imaginer les conséquences. Allait-il falloir qu’il privât le mot amour des enluminures dont il l’avait paré ? À supposer qu’il eût été riche, aurait-il débonnairement accédé aux désirs de son épouse, bien différents de ceux qu’il avait espérés et espérait d’elle ? Non, certes. La gravité de leur mésentente ne changerait point son comportement ni envers elle ni envers les autres. Sa mélancolie devait demeurer toute intérieure et se traduire, hors de son cœur, par une insouciante apparence – qui devait faire enrager Blandine. Elle voyait désormais en lui un huron pourvu d’un constant esprit de contradiction, un traître différent du chevalier au grand cœur qu’il avait prétendu être. Il advenait qu’il se réjouît de sa désillusion, mais c’était pour mieux en souffrir ensuite – certainement autant qu’elle.
Il se couchait le premier sitôt que Saladin s’était lové devant la cheminée. Il savait que Blandine faisait semblant de ne pas le voir, lui, et qu’elle était tentée de frapper le chien du pied. Elle s’abstenait d’une déclaration de guerre à l’animal pour ne pas envenimer leur
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