Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
quelqu’un d’autre que Blandine. Certains soirs, tandis qu’il la tâtonnait – et plus encore –, il avait entendu les cris, les rires des soudoyers et des serviteurs. « Ne vont-ils pas cesser ? » disait-elle en le repoussant un peu comme s’ils attentaient à son plaisir. « Tu devrais leur dire qu’ils nous laissent dormir en paix ! » Il l’interrompait d’un baiser qu’elle refusait de lui rendre. Tout ce qui n’était pas eux et leurs corps assemblés ou près de l’être était pour lui sans importance ; mais elle était sensible aux bruits les plus communs : quelques pas dans la cour, Saladin qui s’étrillait à grands coups de patte arrière, une chevêche en chasse, un craquement de bois. Si l’amour – ou ce qu’il en restait – leur offrait l’occasion d’exclure de leur chambre tout ce qui n’était pas eux, Blandine n’en pouvait rien effacer : quelque plaisir qu’il lui donnât, quelque geste qu’il accomplît, jamais elle n’atteignait la plénitude. Elle conservait toujours une partie d’elle-même en deçà de la félicité qu’il lui avait connue et dont il la savait capable. Cette retenue – cette anxiété peut-être –, il l’eût assurément comprise s’ils s’étaient emmêlés en hâte dans un abri peu sûr, ou si l’un des deux eût forniqué dans l’adultère. Mais ils étaient époux, le verrou était mis…
    Crescentini s’en allait, droit comme un baliveau, et sans doute respirait-il à grands traits. Ogier sourit à son sergent :
    — Je déteste m’emporter ainsi, mais je t’en fais l’aveu, Raymond : je retombe dans la pauvreté… J’ai fourni moult deniers pour Gratot à mon père et n’en ai nul regret. En quittant le Poitou, Blandine n’avait rien… J’ai dû dépenser pour elle…
    — Vous avez voulu la jolier… Je comprends tout cela et les autres aussi.
    Le regard de Raymond, derrière la brume de son haleine, était d’une droiture absolue. Ogier fut sur le point d’en dire davantage et sentit que le sergent aussi se retenait. Peut-être voulait-il l’exhorter à la quiétude et lui livrer ses pensées sur l’immédiat et l’avenir tout en l’assurant de sa féauté [224] .
    — La Bretagne, messire… Nous nous y enrichirons aux dépens des Goddons !
    — Nous y partirons au printemps. Chaque fois que les Goddons seront en nombre égal au nôtre… ou guère plus élevé, nous leur ferons sommation.
    — À votre place, je les assaillirais sans façons !
    — Je laisse ces turpitudes à Guesclin. Je suis un chevalier…
    — Il l’est à ce qu’on dit…
    — Un malandrin… Allons, assez parlé : va trouver les autres et dis-leur de se taire sur ce déplaisant tençon… Mais si je trouve le serviteur dont tu me tais le nom, je le châtierai… Mettons-nous à l’abri : les flocons tombent dru. Avant cette vesprée, il gèlera à pierre fendre.
    Le froid vint avec la nuit quand cessa la tombée de neige. Tout Gratot se retrouva dans le tinel, assis ou debout devant la cheminée où les chiens s’étaient depuis longtemps assemblés. Crescentini fourbissait son haubergeon de mailles ; Mahé et Le Hanvic affûtaient leur guisarme à grands coups de queux [225] et Sapienza, de son couteau, taillait une bille de bois fermement maintenue entre ses genoux : des cheveux courts, un front, des yeux apparaissaient. Goasmat et Le Guevel conversaient en breton et riaient parfois, sans doute de quelque histoire indécente. Tinchebraye, Lehubie et Bazire, une grosse aiguille en main, réparaient, le premier les rênes, les deux autres la sellerie de leur cheval. Gardic et Delaunay enferraient des flèches que Joubert, Courteille et Desfeux empennaient.
    « Ils m’épargnent des écus », songea Ogier en leur souriant.
    Jourden, Barbet et Gosselin tressaient des paniers, Aguiton et Lesaunier aidaient les femmes à dresser la table. Asselin et Marcaillou se relayaient à tourner la broche où cuisait un mouton. Assis dans sa cathèdre, les pieds au feu, Godefroy d’Argouges méditait ; près de lui, Blandine brodait une ceinture de lin roux.
    Ogier se détourna pour regarder, dans la cour, les deux boursouflures des tombes enfin couvertes. Il ne savait s’il s’ennuyait ou non. Les rires de Bertine et de Bertrande lui paraissaient forcés et les petits cris de Jeannette et d’Isaure en bas, aux cuisines, picotaient désagréablement ses oreilles. Dans un angle, assise et les yeux clos,

Weitere Kostenlose Bücher