Les noces de fer

l’âtre… Il fait bon, ce jour d’hui. J’ai voulu vous annoncer notre venue par un pigeon, puis j’y ai renoncé : il fait si bon qu’il nous fallait en profiter…
    — Vois, mon frère : je n’ai qu’un fin manteau sur mon surcot et ma robe…
    Ogier chercha vivement des yeux son épouse. Elle venait de clore la fenêtre. Allait-elle descendre au-devant d’Aude ? Comment l’accueillerait-elle ? En parente ou en amie ?
    — Dans six jours, c’est Noël, dit Thierry.
    — Nous viendrons céans, bien sûr, dit Aude en souriant à Blandine.
    Elle venait d’apparaître sur le perron, enfouie dans son manteau, ses lourds cheveux épandus sur le col du vêtement gris. Elle rit :
    — Je ne vais pas plus avant : je n’ai que mes petites sandales.
    Pour piéter dans la boue, Aude avait mis des heuses.
    — Je viens, ma sœur… Comment vous portez-vous ?… Et le petit ?
    Ogier les laissa entrer, bras dessus, bras dessous, dans le tinel puis il y entraîna Thierry, juste pour entendre Aude s’étonner :
    — Père n’est pas là ?
    — Il a un petit rhume… Il garde la chambre.
    — Vous ne semblez pas bien non plus, Blandine… Qu’en dis-tu, Ogier ?
    Elle avait certes un visage d’albâtre mais il savait, lui, que sa santé n’avait rien à envier à celle d’Aude. Elle manquait d’un peu d’air vif et se serait revigorée en allant à la mer, en faisant un crochet par le manoir de Blainville et en buvant là-bas une soupe chaude avant de se coucher dans la chambre qu’Aude eût fait préparer. Ils pouvaient faire cela demain. Il lui en fit promptement l’offre, espérant, devant sa sœur et son beau-frère, obtenir une acceptation. Blandine secoua la tête :
    — Les changements de temps ne me valent rien… Un vent coulis dans l’oreille et je serai malade pendant cinq ou six jours.
    Ogier sentit son cœur marteler ses côtes. Aude seule perçut sa déception :
    — Les vents coulis, Blandine, peuvent vous atteindre partout.
    Thierry profita de ce que les deux femmes s’affrontaient du regard, sans méchanceté mais sans amiableté, pour s’adresser à son beau-frère :
    — En chemin, nous avons croisé Hervis d’Heugueville. Selon ce qui se dit de Lessay à Coutances, Harcourt ne tardera pas à revenir en son château.
    — Que me chantes-tu là ?
    — La vérité… Son neveu, le blessé de Crécy, l’a fait mettre en présence du duc de Brabant qui lui a servi d’intercesseur… Le Boiteux est allé s’agenouiller devant le duc de Normandie, lequel lui a ménagé une entrevue avec le roi son père… Derechef à genoux – ils devaient le brûler ! – Harcourt a assuré Philippe de sa féauté.
    Ogier s’abstint de tout commentaire. Il demeurait immobile, ébahi qu’un tel événement se fût produit. Si le refus de Blandine avait fait battre son cœur, la nouvelle que Thierry lui rapportait sans émoi apparent – il n’était pas Normand, lui ! – le meurtrissait autant qu’un coup de poing au creux de l’estomac.
    — C’est écœurant, dit-il enfin.
    Il ne pouvait s’exprimer davantage. Son sang croupissait. Traître, Harcourt n’avait que sa détestation. Son retour dans le giron du roi, ses génuflexions et ses promesses étaient des simagrées immondes. Il n’oubliait pas, lui, Argouges, la boucherie de Crécy à laquelle, parmi les Anglais, Harcourt avait participé. Il n’oubliait pas, surtout, qu’Adelis avait trouvé la mort à Chauvigny en le suivant dans la cohue des manants et des bourgeois en fête. À travers les frissons qui le parcouraient circulait soudain l’odeur du sang, des entrailles et des cervelles.
    — J’en ai envie de vomir !
    — Il paraît, ajouta Thierry, que le roi a annulé la sentence de bannissement, qu’il a rendu tous ses biens à notre voisin… et que celui-ci sera chez lui pour la Noël.
    — La mansuétude royale est immense, grinça Ogier.
    Puis, tourné vers Aude :
    — Philippe n’en avait pas fait tant pour notre père. Il est vrai que Blainville était encore en vie !… Que le Boiteux ait trahi, je l’ai compris : les menées du roi l’y ont contraint… Il s’en est ouvert devant moi quand je croupissais dans ma geôle d’Angle. Bertrand de Bricquebec avait tout fait pour envenimer les choses… Mais qu’Harcourt trahisse Édouard maintenant après avoir pris un bon bain de sang avec lui…
    — Voilà que tu te courrouces ! interrompit Blandine comme si elle