Les noces de fer
l’on capture, les négociations pour en tirer bon prix ; le parchon [238] du butin ; la vengeance, aussi, contre ces malfaisants, grands robeurs et brûleurs de maisons et d’églises, tout cela excitait son avidité. Pour la satisfaire, il aurait toutes les hardiesses. Aude était belle, aimante ; leurs retrouvailles seraient des noces nouvelles.
Ils virent les deux femmes apparaître. Blandine, au sourire épanoui, ne tenait plus qu’un sac vide. Aude semblait se contraindre à ne pas baisser les yeux.
— Vous voulez déjà partir ! s’étonna Thierry comme Blandine se dirigeait vers Hautemise dont le nommé Baudrain tenait la bride. Vous pourriez au moins partager notre repas !
— Bien sûr ! dit Ogier.
Blandine rosit un peu ; son regard se voila sous ses cils tremblants :
— La dernière fois que nous sommes restés, nous sommes demeurés si longtemps que nous avons cheminé de nuit. J’ai eu peur.
— Même en compagnie de votre époux !
— Hé, oui, Thierry !… Même en sa compagnie.
— Voilà, Blandine, qui n’est guère flatteur pour mon frère !
Aude cachait péniblement sa déception – et peut-être son courroux – ; Thierry s’ébaudissait, bien que son opinion fût définitivement faite. Ogier, lui, se sentait épuisé. Ce n’était pas le fait d’avoir à parcourir deux nouvelles lieues à l’envers, assurément, mais la certitude que Blandine avait accompli cette chevauchée dans un besoin précis où l’affection n’avait aucune part et qu’il réprouverait lorsqu’il en recevrait révélation. Pendant que son beau-frère essayait de convaincre son épouse de demeurer, il la considéra tout à loisir. Oui, elle était belle. Mieux même : elle était parfaite , bien que cette autorité sourde qu’il combattait vainement fût, dans son maintien, aussi visible qu’un joyau dans sa châsse. Aude, toute proche, douce en dedans et non en apparence, présentait des traits nets et de fermes contours. Cinq ans de géhenne s’étaient effacés de sous son front et de son cœur du seul fait qu’elle aimait Thierry et en était aimée. Elle eût pu arborer cet amour comme une bannière ou un bouclier aux armes de cette passion même : d’azur à deux cœurs d’or accolés ; elle préférait le tenir clos en soi-même, et si son ardeur sensuelle ne se pouvait lire ni dans ses yeux, ni sur ses lèvres qui maintenant souriaient, Ogier la vit en évidence dans sa main qui serrait la dextre de Thierry.
— … et puis, Père s’inquiétera, disait Blandine. Je lui ai dit que nous reviendrions tôt…
— Va-t-il bien ?
— Oui, Aude… Il aime bien ma présence… Pas vrai, messire Ogier ?
Paroles chargées d’une moquerie que seul « messire Ogier » pouvait comprendre. Quelle erreur que cette visite ! Quels commentaires échangeraient Thierry et Aude dès qu’ils seraient seuls !
— … ils sont tous si bons avec moi ! ajoutait Blandine.
Malice ? Enfantillage ? « Je dois avoir l’air d’un grand niais ! », songea Ogier. « Et même si je n’en ai pas l’air, mais qu’ils me plaignent, c’est pis ! » Il pouvait insister pour rester – Blandine ne serait pas repartie seule –, mais rien de bon ne résulterait de cette halte prolongée contre sa volonté.
— Adonques, partez, dit Aude d’un ton bref alors que Blandine exprimait des regrets insincères.
Ce n’était plus l’expression d’une contrariété résultant d’une affection blessée mais un congédiement auquel se ralliait Thierry.
— Viens, Blandine, partons…
Ogier l’aida à prendre place sur sa sambue. Sans ménagement.
— Oh ! murmura-t-elle, oublies-tu mon état ?
Certes non, il ne l’oubliait pas ! Quelle sorte d’enfant allait-elle lui donner ? Quel visage ? Quel caractère ? Les soudoyers de Thierry avaient cessé leur jeu. Tous les observaient et s’étonnaient du peu de temps que ces visiteurs, des parents , avaient passé en ces murs. Tous, sans doute aussi, admiraient Blandine et l’enviaient, lui, Argouges de coucher avec elle !
Thierry avait saisi Aude par l’épaule :
— J’irai te voir, Ogier, avec mes hommes. Ils se confronteront aux tiens !
Ogier enfourcha Marchegai :
— Bonne idée ! Viens la semaine prochaine… À bientôt, ma sœur…
Il souriait sans effort. Il laissa Blandine le devancer sous le porche, pour se retourner et envoyer un baiser à Aude. « Elle me plaint, j’en suis
Weitere Kostenlose Bücher