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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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attendrissement soudain l’envahit : il était à plaindre. Le bonheur longtemps convoité, atteint et « dépassé », s’éclipsait peu à peu. Seul !… Saladin lui-même était loin de lui, Saladin auquel il eût pris plaisir à offrir quelques caresses car il avait besoin, cette nuit, non pas qu’on lui dispensât des douceurs, mais qu’il en prodiguât pour recouvrer sa vraie nature.
    Il s’arrêta sur le seuil de l’étable et, après une hésitation, décida d’aller dormir sur la paille de l’écurie voisine.
    — Hé ! fit la voix bien connue. Ça ne va pas ?
    Elle avait prononcé sourdement sa question. C’était un accent indéfinissable. Il y discerna moins d’ironie que d’apitoiement.
    Il n’osa lever les yeux pour la voir, mais il savait que c’était elle et qu’elle l’attendait, sans doute, de nuit en nuit depuis longtemps.

IV
    Décembre s’acheva dans le vent, la pluie, la boue. Les mouettes dédaignant le ciel de plomb, de grandes compagnies de corbeaux l’envahirent. De l’éveil du jour à la vesprée, leurs cris retentirent autour et au-dessus de Gratot, aggravant, s’il se pouvait, l’austérité de la demeure des Argouges dont ils animaient parfois les toitures. Quelques caillots de neige grisâtre s’accrochaient encore aux ajoncs enracinés au bord des douves.
    — Nous pourrions tout de même sortir un peu, dit Blandine, un matin, en cessant de tresser ses cheveux. Pourquoi n’irions-nous pas visiter Aude et Thierry ?
    On était le 13 janvier. Des nuages nombreux annonçaient une averse. Fallait-il la dissuader de chevaucher par ce temps ?
    — Soit, dit Ogier. Je veux bien.
    Dans les écuries vides d’hommes, puisqu’ils s’exerçaient, sous le commandement de Raymond, dans le grand champ derrière l’église, Ogier sella Hautemise puis Marchegai. Alors que fréquemment elle se faisait attendre, Blandine apparut sur le seuil, souriante, un gros sac à la main.
    — Que contient-il ?
    — Tu n’as pas besoin de le savoir.
    Mécontent, Ogier la vit accrocher les anses de cuir au pommeau de sa sambue. Et quand il l’eut aidée à s’y asseoir, elle se pencha et révéla :
    — C’est pour ta sœur… si elle veut bien.
    Qu’avait-elle emporté ? Pourquoi cette réserve ? Il fut tenté de demander : « Est-ce un présent ? » mais se retint : il eût accru, ainsi, le plaisir qu’elle éprouvait à lui dissimuler ce qu’elle emportait.
    Aguiton, toujours bienheureux d’être de garde et d’échapper au maniement d’armes, les salua au sortir de la porte charretière. Une fois la jetée franchie, Ogier fit un détour pour voir ses hommes.
    Raymond les menait fermement. Entre un double rang de pommiers où çà et là un gros gousset de gui verdissait une aisselle, Joubert, Desfeux, Gardic et Delaunay s’affrontaient avec des épées de bois. Sur trois bersails de paille tressées lors des veillées, Tinchebraye, Mahé, Lehubie, Bazire, Gardic, Sapienza et Crescentini se mesuraient à l’arc, et les deux Génois semblaient les plus habiles, – ce qui mécontentait les autres. Plus loin, Le Hanvic et Goasmat, son poignet dextre serré dans un bracelet de cuir, maniaient le couteau de brèche, surveillés par Le Guevel qui, une lance écourtée à la main, empêchait certains coups d’aboutir.
    — Comment va, Raymond ?… Ils ne te donnent pas trop de mal ?
    — Nullement !… À si peu que nous sommes, nous pourrions harier [234] quatre douzaines de Goddons. Les survivants, s’il en restait, s’escamperaient la queue basse !
    Les hommes s’ébaudirent cependant que Blandine, d’une crispation des lèvres, leur signifiait son indignation.
    Ogier laissa Marchegai l’entraîner à la suite de son épouse.
    — Pourquoi t’offenses-tu ?
    — Raymond est indécent !
    — La queue basse ?… On pourrait en parler entre nous.
    — Toi, oui… Est-ce ma faute si tu ne me touches plus ?
    — Est-ce la mienne si, quand je veux te toucher, tu t’éloignes et t’offenses aussitôt ?
    Un jour qu’il se trouvait porté aux confidences, son oncle Guillaume lui avait dit : « Tu verras, cela te fera comme à moi, comme à tous avec ton épouse, même si tu t’en crois moult aimé, car elles sont toutes pareilles, une fois passées devant l’autel. Elle te dira d’abord, une nuit, qu’elle est lasse. Puis : pas ce soir ; puis : laisse-moi  ; puis : Encore ! et enfin : Il n’y a que cela qui importe pour

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