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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’une façon différente de nous autres, et si elle a subi des contrariétés, elle n’a pas connu nos épreuves… Je pense que Mère aurait été fière de l’avoir pour bru… Vois-tu, maintenant, elle me fait penser à Péronne…
    — Péronne !
    — Quand on lui donne à manger : elle flaire, elle hésite, elle se sent observée… Elle n’est pas si goulue que Saladin, qui veut tout d’un seul coup et qui te ressemble…
    Ogier se récria, Thierry également, puis ils rirent, et Champartel imita les jappements d’un chien.
    — Vous pouvez vous ébaudir ! continua Aude, sans s’offenser. Tu aurais pu penser, Ogier, qu’elle serait peut-être dépensière à bon escient, et te demander comment tu jugerais ce désir d’être bien acesmée [255] … Moi-même, j’ai envie de belles parures, mais une envie moins vive que la sienne… Elle doit avoir très mal…
    Pour Ogier, ces propos semblaient neufs. Jamais l’idée que la parure pût exercer sur un esprit féminin des convoitises aussi persévérantes ne l’avait préoccupé. La vénusté, pour lui, c’étaient la nudité, la pureté, ce besoin qu’on avait à la fois de tâter, de sonder, et aussi de ne pas toucher en raison d’un respect, d’une admiration impossibles, d’ailleurs, à soutenir longtemps tant la beauté excitait le désir de se mêler à elle, de s’y confondre et de s’y fondre… Cheveux d’or, peau soyeuse, sourire de nacre : Blandine était d’or, de soie, de perle, tout cela enveloppé de rêve ; mais tout cela aussi transmuté en femme avec un caractère, des besoins et des rétractations, des élans et des dédains, des affections et des indifférences, voire aussi des mépris et peut-être des haines sourdes qui ne voulaient pas s’avouer.
    Conscient d’être parvenu à l’extrémité de ses confidences, Ogier sourit pour exprimer la dernière :
    — J’ai pensé moult fois à quitter Gratot pour venir vivre avec vous. La présence de Père m’en a empêché.
    Aude balança entre le sourire et la moue. Thierry devança une réponse qu’il imaginait embarrassée.
    — Holà ! beau-frère, nous aurions fait valoir un droit de remaisance [256] . Mais je suis sûr, qu’une fois acquitté, tu en aurais eu du remords et serais reparti pour Gratot, non pas au trot mais au galop.
    — Certes ! approuva Aude sans sourire.
    Puis, presque froidement car cet entretien commençait à lui déplaire :
    — Si tu t’étais dit, mon frère, qu’elle n’était ni pire ni meilleure qu’une autre en oubliant, assurément, qu’elle était sans doute plus belle que d’aucunes, tu n’en serais pas à t’infliger de pareils tourments… Tu la prendrais telle qu’elle est, sans chercher à la vouloir telle que tu la veux…
    Aude se leva pour aller prendre, dans la cheminée, une lèche-frite fumante qu’elle apporta les anses enveloppées de chiffons :
    — Du merlu ? Cela te convient, mon frère.
    — Tout me convient pourvu que ce soit à mon goût !
    Des lueurs de gaieté dansèrent dans les yeux d’Aude. Au-delà, le garçon y vit un bonheur dru et lisse ; il sourit à Champartel :
    — Thierry, je crois bien que tu es un peu magicien… Tu as fait d’Aude une femme comblée…
    Il regarda le ventre de sa sœur ; elle rit :
    — Je m’arrondis un peu… En mai et juin, je serai comme un baril !
    — Blandine également… Prendra-t-elle bien cette chose ?
    — Bien sûr !… Elle sera une bonne mère, tu verras !
    Les lèvres d’Aude tremblaient un peu. Émoi ou dissimulation ? Voilà qu’il recommençait à douter, à s’interroger. Ogier considéra ce ventre plein, ensemencé par un huron devenu chevalier. Quel enfant naîtrait de cet accouplement-là ? Un garçon solide sans doute.
    « Et quel fils me donnera Blandine ?… Sera-t-il pareil, plus tard, à mon père et à moi-même… ou à Herbert Berland ? »
    Il se pouvait aussi que ce fut une fille.
    « Non », se dit-il. « Non : ce serait la fin de notre lignée. »
    Dieu ne pouvait-il lui réserver une déception pareille !
    Que ce gars eût ses traits ou ceux de Blandine le laissait indifférent. Seuls importaient la richesse de l’esprit et la santé du corps. Comme il serait déçu, cependant, si un membre de sa famille ou quelque connaissance s’écriait un jour lointain, dans l’intention de lui complaire : «  C’est tout votre portrait  » alors que d’évidence, l’enfant ou l’adolescent

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