Les noces de fer
manants et des hurons habiles… » Alors que le duc Jean crachait de mépris, trouvant du déshonneur là où il y avait tout bonnement de la circonspection, le duc d’Orléans avait approuvé, étouffant la moquerie que Charny avait sur les lèvres.
« Édouard, lui, j’en suis sûr, m’aurait congratulé ! »
À nouveau lui venait un dégoût envers ce Valois et ses fils, leurs maréchaux et grands seigneurs.
« Si nous perdons cette bataille de Calais, ils ne manqueront pas d’arguments pour expliquer leur échec ! Ils ont d’excellentes raisons pour tout !… Nous, au moins, nous aurons pris cette tour… Et ce sera peut-être, avant longtemps, la seule victoire des lis face aux léopards !… Petite victoire, et même victoire sans mérite : à moins de quatre cents contre une trentaine, ce sera même humiliant… »
Ils marchaient toujours. Plus lentement.
— Il faudra bouter le feu à ce beffroi…
— Non, Tinchebraye… Nous ferons en sorte de le conserver. Nous l’occuperons afin de contrarier, par la suite, les mouvements des Anglais de ce côté-ci de Calais… Nous sommes sur le point de le dépasser… Comme, en bas, les Goddons ne bougent pas, remontons un peu…
Leurs suivants virent la manœuvre et remontèrent. Nul ne parlait. Les aciers des armes, frappés par les traits du soleil, luisaient de rouge. En haut, le Borgne de Bapaume, à grands coups de gueule, entamait avec ses hommes l’encerclement tandis que ceux du milieu, retenus par Domat, Ratbold, Le Doulx, Trassignies et Marie, alentissaient leur progression. Certains d’entre eux, même, s’arrêtaient et se retournaient afin de voir si DeConinck et Guillonnet venaient avec les renforts. Effectivement, ils arrivaient en rangs serrés, formant sur le fond vert-gris de la butte de Sangatte, un long et lourd bourrelet d’étoffe et de fer hérissé de tout ce qui piquait, accrochait, tranchait, écrasait ; et des cris et des chants augmentaient l’impression de force impitoyable de ces hommes dont tous, sans doute, avaient subi la férocité des Flamands.
Une trompe sonna au faîte de la tour.
— Ils demandent de l’aide… Croyez-vous qu’Édouard leur en fournira ?
— Je ne sais, Joubert… Aide ou non, ils se préparent.
— J’aperçois le premier fossé, dit Tinchebraye.
— Moi aussi… Rien ne le protège… Tant mieux !
— Il me paraît très large, mais je n’en puis donner la profondeur : nous en sommes trop loin.
— Je crois que nous l’atteindrons sans dommage… Voyez, par cette pente, à senestre, il doit être aisé de se glisser dedans…
— Oui, messire… Mais voyez toutes ces archères !… Putain de tour !
— S’ils sont trente, ils ne garniront pas toutes ces ouvertures !… Sonne quatre coups !
Tinchebraye emboucha son cor. Lorsque ses meuglements brefs eurent retenti, les porteurs de mantelets et de grands écus s’ordonnèrent en première ligne, suivis de près par les hommes munis de cordes ou chargés d’échelles et de ridelles.
— Cette tour peut contenir cent hommes…
— Je sais, Joubert… Et nos compagnons savent qu’entre les deux fossés, nous serons à découvert… Quand nous serons à l’abri du premier, les gars qui portent les mantelets se prépareront à sortir omniement [372] les premiers… Nous les suivrons en nous gardant des sagettes… Vois-tu, c’est sous les hourds que l’adversité nous sera féroce !… Tu peux prier pour que nos boutefeux fassent en hâte flamber la porte !
Bien que désormais éloignés de la mer, ils piétinaient encore dans des flaques et de petits marais où des joncs cuits au soleil semblaient autant de flèches fichées au sol. Au fur et à mesure que le soleil déclinait, la végétation prenait une apparence noire. Quelques ruines apparurent : plutôt que d’occuper deux maisons de pêcheurs, les Anglais les avaient anéanties.
— Nous voici à cent toises du premier fossé… Sonne un coup…
Tinchebraye s’exécuta ; la petite armée, aussitôt s’immobilisa :
— Fais passer, Joubert : que chacun de nous reprenne haleine et se prépare à courir, car nous allons être à portée de leurs arcs…
« Voilà… Le plus dur reste à faire… Si le roi nous avue [373] , il prend cette dernière précaution pour de l’hésitation, voire de la couardise… Charny doit s’ébaudir ! Je sens frémir mes gars… De peur ou de malerage. Les armes bougent… Seules les
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