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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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porteurs de hoyaux [368] , et de pics ; cinquante hommes chargés de ridelles prélevées sur des chariots ou d’échelles empruntées au bagage royal afin de franchir aisément les fossés. Il y avait aussi, à l’arrière, vingt gars chargés de mantelets et trente boutefeux : les flammes échevelées de leurs torches semblaient avoir été ravies au soleil flamboyant.
    Il avait refusé d’entraîner quinze cents hommes en cette aventure. Mieux – et cela n’avait pas manqué d’ébahir le roi, ses fils et l’orgueilleux Charny –, il avait demandé trois cent cinquante volontaires, arguant même qu’avec deux cents, on eût pu conquérir la tour.
    La mer en son flux apportait d’Angleterre un vent froid et picotant. Des brumes ondoyaient dans les marais et fondrières, et s’accrochaient aux chicots des troncs sur lesquels certains trébuchaient en jurant. De loin en loin, une mare reflétait la pourpre vespérale, et l’on eût dit qu’une bataille avait eu lieu sur cette berge d’où s’essoraient des oiseaux noirs : corbeaux, grives, pinsons et merles ; et des oiseaux gris : mouettes et pigeons.
    Avant de se resserrer autour du beffroi, la petite armée se déployait en demi-boucle. Ogier commandait en haut, à senestre, le Borgne de Bapaume en haut, à dextre, les autres capitaines, espacés, dans le creux. Chacun d’eux portait un olifant, et les hommes savaient à quels signaux obéir. Ils marchaient, le regard soit baissé sur le sol, soit levé vers cette tour encore lointaine d’où une sonnerie de trompe avait retenti et où chaque archère devait avoir son Gallois bien approvendé en sagettes, voire en huile, poix ou eau bouillante.
    « Pourvu que nous les prenions sans trop de mal ! » Les pieds d’Ogier trempaient dans le jus des marais hérissés d’herbes, barbelés de panicauts ; il sentait l’humide glu froidir ses orteils, ses jarrets ; mais ses heuses étaient bonnes : il se trouvait au sec. Le vent chantait parfois dans les hampes des armes. Seuls les corbeaux lançaient leur cri lugubre.
    « Sans trop de mal… Et pourvu que j’en revienne ! » Il avait toute confiance en ces manants, ces hurons qui l’entouraient, et plus il repassait en son esprit les événements des derniers jours, plus il pensait que la mort pouvait être une délivrance.
    « Si j’expire, Thierry prendra soin de Blandine… de notre enfant… de Marchegai et Saladin… »
    Il trébucha comme il trébucherait, peut-être bientôt, sans se relever.
    « Si je trépasse, elle se remariera… De toute façon, elle quittera Gratot… »
    Le hu [369] confus et gras des semelles sur le sable et les cailloux, la vase et les herbes lourdes, suintantes d’eau, lui était doux. Il ne devait penser qu’à ce qui allait se passer. Tinchebraye eut un grognement :
    — Même conquise, cette tour ne servira à rien !
    — Me serais-je rebellé que le roi m’eût pris pour un couard, malgré tout ce qu’il sait de moi… Rassure-toi : une fois ce beffroi conquis, nous avancerons vers Calais pour y tenter, durant la nuit, quelque gros coup…
    Des visions montaient au front d’Ogier : coups d’épées, sursauts et cris des gars percés de carreaux ou de flèches ; commentaires du roi qui les voyait toujours, sans doute, de l’éminence sur laquelle il était monté pour assister à leur départ. La tour grandissait et le val qu’elle devait défendre apparaissait vaste et dangereux : pas un arbre ; en bas, de petites nefs échouées volontairement et d’où pouvaient sortir des centaines d’hommes d’armes. Mieux valait prendre des précautions pour que l’assaut ne devînt pas boucherie :
    — Sonne la trompe, Tinchebraye… Trois coups.
    Trois mugissements ondoyèrent et les hommes cessèrent d’avancer. Aussitôt, Domat, Ratbold, Le Doulx, Marie, Trassignies, DeConinck et le Borgne de Bapaume coururent parmi les hommes et rejoignirent Ogier.
    — Que se passe-t-il ? dit le Borgne sans pouvoir refréner son courroux.
    Ogier leur désigna les vaisseaux sur le sable, et devant, des roulis [370] solidement plantés :
    — Je jurerais que tout cela grouille d’Anglais… Quand nous serons bien engagés dans l’action, ils nous prendront à revers.
    Ses yeux cillèrent :
    — Tiens, tu es là, toi !… Je t’avais pourtant dit de demeurer avec mes compagnons !
    Le jeune guisarmier souriait :
    — Je suis venu pour batailler, messire…
    — Soit, Guillonnet,

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