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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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rejoignant vos hommes, commandez de faire placer les échelles et ridelles en position de grimpée… Les porteurs de mantelets et grands pavois passeront les premiers… Qu’ils s’arrêtent entre cette fosse et la suivante… Que tous fassent de leur mieux pour faire écran aux traits de ces démons… Que les autres gars ne craignent pas de racler le sol de leur ventre… Courir à nouveau, c’est s’exposer à la malemort… Allez, amis… Et que Dieu vous garde !
    Ses jambes le soutenaient à peine. Serait-il bientôt… Non ! Il reverrait Blandine, il connaîtrait son fils. «  Saligots de Goddons ! » Allons donc ! Tout comme lui, Tinchebraye et ceux de Tournaisis, ces Anglais ne faisaient qu’accomplir leur devoir. Il eussent pu jeter leurs arcs et leurs carquois en signe de rendage [377] . Ils ne le faisaient pas, assurés, peut-être, que leur roi les ferait secourir.
    Les échelles se dressaient ; certaines dépassaient de la fosse alors que les ridelles n’en atteignaient pas le bord. Il allait falloir s’y pousser. Les porteurs d’écus et de mantelets se plaçaient en avant. « Des mantelets d’osier. Ils sont légers : les sagettes les traverseront, mais nous n’avions que ça ! » Il y avait des murmures, quelques cris ; les armes d’hast remuaient comme des baliveaux sous le vent. Vent de mort. « Ils sont presque cernés… Les Goddons doivent passer au-dessus de ces fosses au moyen de ponts de bois qu’ils emportent avec eux… Si la seconde ressemble à celle-ci, le Borgne me rejoindra par senestre… Nous atteindrons la porte ensemble. Elle est presque en face d’où je suis… Basse, épaisse… Quelques marches y accèdent… Trois peut-être… Que Dieu m’aide ! » Une rumeur de plus en plus bruyante signifiait que les hommes étaient en place. Frémissements d’anxiété : « Je les commande ; il faut que je me décide… » Regarder autour de soi. Derrière, contre ses talons, un homme était couché, un oreiller de sang boueux sous la nuque. Un jouvenceau éploré lui caressait la joue.
    — Ça l’aide à trépasser, messire, dit Tinchebraye.
    D’une main, il poignait la bannière, de l’autre, il tortillait l’enguichure de cuir tressé de son cor, une corne de taureau, noire, un peu tordue à l’embouchoir de cuivre.
    — Vas-y : forhue [378]  !
    Tandis que le Normand sonnait, Ogier hurla :
    — Allez compères !
    Il n’avait pas crié : «  Pour Dieu et le royaume  » ni « Montjoie ! » Il écarta des jeunets apeurés, atteignit une échelle et grimpa derrière un homme qui tenait un pavois de Génois.
    Derechef la tour. Les sagettes. Un essaim. Derrière, un remous, une sorte de brassage, de cliquetis ; des jurons. Les échelles frémissaient et craquaient sous leur charge. Ne pas s’en occuper. «  Tu ne t’es pas soucié de Joubert, à quoi bon t’inquiéter des autres ! » Courbé derrière son pavois, l’homme du Tournaisis avançait. Ogier le suivait de si près qu’il sentait son odeur ; odeur de sueur, odeur de peur ; odeur de mort. Le pavois tressaillit : une flèche. Avancer. Avancer. Nouveau sursaut, nouvelle flèche. « Un Goddon nous en veut ! » Avancer. Tout autour, un champignonnement d’hommes : les uns courbés derrière leur écu, les autres ventrouillant, courant et se couchant, tirant les échelles. Parfois, touchant le fer d’une arme ou d’un chapeau de fer, un dard anglais faisait un bruit de claque suivi d’un grognement, d’un cri, d’un pleur.
    Le second fossé, tout proche… Voir ce qui se passait. Se lever un peu. Vfuuut ! Celle-là venait de lui venteler la joue. Il rit : «  Tu ne tireras plus longtemps, Goddon ! » Les vagues d’hommes avançaient. Si lentement qu’un jeunet hurla et se mit à courir. Il battit des bras. Une fleur rougeoya au dos de sa cuirie. Il tomba, se remit à genoux, tomba et cette fois resta roide.
    — Faut-y être bête ! dit Tinchebraye.
    Il se vitulait, lui [379] . Il avait peur et ne s’en cachait pas. C’était pourtant moins horrible qu’à Crécy ! Les autres ? Vifs, endurants, hardis, ils approuvaient cette avancée prudente que tous les chevaliers de l’ost royal eussent blâmée. Les jours fastidieux d’Hesdin, la vue des magnificences de la noblesse eussent pu les pousser à s’interroger : « Pourquoi soutenons-nous ces hommes ? Nous n’appartenons, nous, à aucune bataille. Nous sommes libres et nous contrestons [380]

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