Les noces de fer
soit !
« Batailler pour quoi ?… Tu es pauvre et n’as rien à gagner en cette guerre, et même si tu t’y montrais hardi, je crains que notre roi ne t’en sache aucun gré ! »
— Guillonnet, tu vas revenir en arrière.
— Ah ! non…
— Si… Tu vas amener avec toi, mandement d’Ogier d’Argouges – c’est moi –, le reste des gars du Tournaisis, qui doivent être un millier… Qu’ils ne courent pas vers la tour, mais qu’ils se placent ici, où nous sommes, en bon arroi, afin de pouvoir courir vers ces nefs et ces palis que tu vois là-bas, s’il en sortait des Goddons… Quant à nous, nous allons commencer l’encerclement… Bien sûr, si nous sommes en difficulté, les Tournaisiens en renfort nous prêteront assistance.
— Je suis jeunet, messire : ils n’obéiront point.
— Tu n’iras pas seul, dit le Borgne… DeConinck, pars avec lui !
Contrairement à ce que pensait Ogier, l’homme de Tournaisis s’éloigna en hâte avec le jouvenceau.
— Il est d’Arras, dit le Borgne… Cinq enfants… S’il peut en réchapper, tant mieux… On y va ?
— On y va !
Dès que les capitaines eurent repris leur place, la petite armée repartit. La tour grandit.
« Un toit de bois… Des hourds ! Ils ont donc des pierres et des boulets qu’ils nous jetterons dessus… De grandes archères : ils nous perceront avant que nous ayons atteint le premier de leurs fossés ! »
Ogier se tourna vers Joubert :
— Détords ma bannière !
— À côté d’elle, messire, il devrait y avoir l’oriflamme.
— Pas de danger que Charny soit présent !
— Il fallait un successeur à Blainville. Il semble que ce soit lui.
— Il est du Vexin… Normand comme nous…
Cela n’empêchait pas qu’il fût détestable. Sa courtoisie fallacieuse envers Philippe et ses fils dissimulait peut-être soit de la peur, soit un certain orgueil à l’égard d’un suzerain et de ses hoirs dont il connaissait les défauts incorrigibles.
— Charny n’a pas deux sous de chevalerie dans le cœur !… Foi d’Argouges !
Il l’avait peu mais suffisamment observé. Par ses flatteries, non seulement il avait obtenu la faveur de Philippe, mais encore il s’était acquis les bonnes grâces des maréchaux. À la table royale, en plein air, alors que les façons de Cour étaient exclues ou presque, il parlait sur tout : un flot d’histoires, de louanges, comparaisons, promesses et poésies dont les échos attiraient les regards des seigneurs et piétons de passage, et même ceux des chevaux assemblés ni trop loin ni trop près, afin que l’odeur des pissats et crottins ne pussent troubler le roi, ses fils et leur coutumier entourage. Mais qu’allait-il penser à Geoffroi de Charny : la tour grandissait ; il pouvait en évaluer les dimensions : cinq toises de haut, autant de large ; une sorte de seille immense pour géant. Des ferrures scintillaient çà et là sur la charpente : du bon chêne noirci par les vents et poudrins, résistant comme ces rocs qui commençaient à émerger du sol.
— Ont-ils des bombardes ?
— Non, Joubert : ils nous auraient déjà tiré dessus… Je n’ai jamais vu quel effet faisaient ces gros tubes qui crachent feux et boulets !
— Vaut mieux pas, messire ! dit Tinchebraye.
Il avait emprunté une fourche de guerre ; il la poignait comme à la fenaison, comme s’il allait jeter des bottes de Goddons par-dessus son épaule. Joubert n’avait que son épée, une lame assez courte, guère large, aux biseaux abrupts et qu’il logeait dans un fourreau trop spacieux : elle y tressautait à chaque enjambée.
— Une armée de manants, sauf vous, dit Tinchebraye.
Pas de messire, et c’était tant mieux : « Je ne me suis jamais senti à ce point dans le commun ! » Il avait scandalisé le duc de Normandie en apparaissant devant le roi et son entourage tête nue, habillé d’un hoqueton, de ses chausses et de ses heuses. Sans ses éperons d’or, Confiance, nue, au poing. « Holà, Argouges !… Pourquoi vous êtes-vous momé [371] ainsi ? J’eusse préféré vous voir sur votre coursier, adoubé de votre belle armure ! » Ce roi ne comprendrait jamais rien à rien. « Sire, les archers goddons, que vous connaissez aussi bien que moi, meurtriraient aisément mon cheval. Et si je suis ainsi vêtu, c’est pour avoir plus d’aisance en mes mouvements : nous n’allons pas courir sus à des chevaliers, mais à des
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