Les noces de fer
l’assaut donné à la tour de Sangatte, le 26 juillet, par les 1 500 hommes de Tournai et d’Arras, lesquels, avant de capturer les Anglais, franchirent non sans pertes, les deux fossés circulaires. On était donc en droit d’attendre, de la part de cet auteur consciencieux, un développement sur le comportement des Calaisiens et des fameux bourgeois. Crainte de polémiquer ? Jules Viard, démarquant Froissart, ses copistes et interpolateurs, renvoie son lecteur à Georges Daumet, contestataire de M. de Bréquigny parce que tout de même, la fable des Bourgeois, c’est (disons-le vulgairement), c’est chouette. Si elle ne l’émerveille pas, lui, elle peut en mettre « plein la vue » à d’autres, particulièrement aux enfants des écoles, amateurs de belles histoires « vraies » comme la revue Confidences, naguère, en fit écrire par ses rédactrices.
UN PEU D’HISTOIRE
Ici, un peu d’histoire s’impose à propos de ces Mémoires lus en séance publique, le jour de la Saint-Martin de 1766. Comment M. de Bréquigny put-il écrire ce qu’on lui reprocha pour la première fois plus d’un demi-siècle après ?
Eh bien, le duc de Praslin, ministre des Affaires étrangères de Louis XV, avait envoyé M. de Bréquigny à Londres pour y effectuer des recherches aux archives de l’Échiquier, recherches qui durèrent trois mois et n’avaient d’autre objet que de voir quelles pièces intéressantes de l’histoire de France possédaient les Anglais. D’emblée, l’auteur du Mémoire annonce qu’il a trouvé des documents d’une extrême importance ignorés des Anglais peu enclins à fouiner dans les parchemins. Leur énumération tient en deux pages. Venons-en donc immédiatement à Calais. M. de Bréquigny écrit :
Sans répéter des faits connus, je me bornerai à rapporter les particularités singulières, ignorées jusqu’ici, que les rôles de la Tour m’ont fournies pour la plupart et que Thomas Corte a négligé d’indiquer dans ses catalogues, où le nom d’Eustache de Saint-Pierre ne se rencontre pas même une fois.
Après avoir fait état de la lettre des Calaisiens à Philippe VI, le 26 juin 1347 (certains historiens disent le 25), M. de Bréquigny s’interroge sur la véracité des événements comme nous pourrions nous interroger tous. Peut-on savoir ce qui se passa vraiment ? L’appel de Jean de Vienne aux créneaux eut-il lieu ? Sans doute… et pourtant, selon une chronique manuscrite intitulée : Prosécution de l’Histoire de Sugiers Abbé, conservée en 1852 dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Bertin, Jean de Vienne serait allé lui-même, accompagné de deux chevaliers et de deux bourgeois non nommés, solliciter auprès d’Édouard III la grâce des habitants de Calais.
Cette démarche est corroborée par un Anglais, Thomas de La Moore, qui était de la suite d’Édouard. Il ne fixe pas le nombre des bourgeois mais dit que c’est une partie de la garnison (et cela fait des hommes !) qui suivait Jean de Vienne, lequel tenait les clés de la cité :
Sitôt que les Calaisiens se furent aperçus de la retraite du roi de France, ils virent qu’il fallait se rendre et baissèrent leur pavillon placé sur la principale tour. Ensuite, Jean de Vienne, leur gouverneur, fit ouvrir les portes et sortit de la ville, monté sur un petit cheval parce qu’il avait été blessé peu de temps auparavant. Ceux de la garnison et les bourgeois qui le suivaient marchaient la corde au col, la tête et les pieds nus. Dès qu’il fut en présence d’Édouard, il lui remit son épée et les clés de la ville, le suppliant d’épargner des malheureux qui se soumettaient. Édouard reçut les clés et l’épée, retint prisonnier le gouverneur, quinze chevaliers et plusieurs bourgeois qu’il envoya en Angleterre après les avoir, cependant, comblés généreusement de présents. Il ordonna que le reste des bourgeois et tout ce qui se trouvait dans la ville fut conduit à Guignes, après leur avoir fait distribuer de quoi manger, dont ils avaient grand besoin. ( Thomas de La Moore, cité par Jean Stow , General chronicle of England, page 244.)
Le récit de Knighton, un témoin également, ressemble presque en tout point à celui de La Moore. Il y ajoute cependant – ce qui n’est pas douteux puisque des faits semblables se sont produits après la libération des camps de concentration nazis – que des Calaisiens « exténués de
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