Les noces de fer
Le coupable est un garde de Nicolas de Chiffrevast, naguère un peu comploteur, mais solidement rallié au roi de France. De ce fait, il est devenu, en Cotentin, presque aussi important que le chevalier au Vert Lion : Robert Bertrand de Bricquebec. C’est la guerre, et chacun recrute aisément des troupes. Harcourt recouvre cette frénésie homicide qui fit tant de mal à la Normandie lorsqu’il chevauchait entre Édouard III et son fils. Il s’en prend même, l’épée haute, à la mère de Chiffrevast réfugiée à Briquebosc : elle en mourra – blessée ou épouvantée, on ne sait.
Harcourt rançonne, tue, menace et incendie. Jean le Bon, excédé, ordonne de sévir. Mais comment ? Le Boiteux profitera de ses atermoiements et des meurtres que le roi commettra pour venger Charles d’Espagne pour, une fois encore, faire hommage à Édouard III… qui pardonnera et qui, de nouveau, dix ans après la première dévastation de la Normandie, recommencera une chevauchée sanglante. Le 23 juin 1356, le Boiteux dévaste Carentan ; le 24, c’est Saint-Lô, le 26 Evrecy. Le 27, le Boiteux est à Argences ; le 2 juillet, il couche à l’abbaye du Bec-Helloin. Il rit bien, Harcourt ! Il chevauche botte à botte avec Jean de Montfort, le fils du prétendant au duché de Bretagne et de Jeanne la Flamme, qui vient d’épouser une fille du roi d’Angleterre : Mary. Le 12 juillet, après s’être bien régalé de sang et de dévastation, Harcourt sera de retour à Carentan. Fier de lui.
Mais l’orgueilleux sent que le vent de Dieu va souffler : le 18, il rédige son testament. Il reconnaît Édouard pour roi de France et le fait héritier de tous ses domaines, frustrant ainsi son neveu qui a refusé de le suivre dans ses « vengeances ».
Édouard III, insatiable, envoie son fils sur le continent. Ce sera Poitiers – ou plus précisément Maupertuis (commune de Nouaillé) où, le 19 septembre 1356, incapables d’avoir retenu les leçons de Crécy, les chevaliers de France seront anéantis et Jean le Bon fait prisonnier. Victoire encore de l’archerie et de la piétaille anglaises sur une chevalerie sans frein et sans intelligence.
Le roi Jean étant captif en Angleterre – captivité dorée –, le dauphin Charles désigne Amaury de Meulan, sire du Neubourg comme son lieutenant en Normandie… celle qui ne se trouve pas sous la dépendance des seigneurs ralliés à Charles de Navarre et des Cotentinais révoltés contre la Couronne de France. Aussitôt, le ressentiment de Godefroy d’Harcourt se porte sur Amaury de Meulan. C’est la guerre et de nouveaux ravages.
Le lieutenant du Dauphin tombe au pouvoir du Boiteux après un combat acharné. Le Dauphin décide de sévir et rassemble les réchappés de Poitiers qui veulent une victoire : à défaut des Anglais, ce sera contre Harcourt !
Ils parviennent à Sainte-Marie-du-Mont, franchissent à gué les bras de l’Ouve et de la Taute et, sous la direction de Robert de Clermont et de Baudrain de La Heuse, marchent droit au sud-est.
Le Boiteux les attend sur une des hauteurs de la paroisse de Brévands. Il voit l’armée du Dauphin faire mouvement en bordure du rivage (de l’époque) vers Coquebourg afin de passer la Vire et l’Aure par le gué de Saint-Clément, et décide d’escarmoucher. Pour cela, il envoie des hommes par la brèche du Grand Vey avec mission de devancer les adversaires vers Coquebourg, après un grand mouvement tournant. De là, ils les mèneront dans les marais où ils seront désavantagés.
Or, la manœuvre est un échec. Les deux armées se heurtent devant le gué de Saint-Clément. Trahi par certains des siens, qui fuient lors de la bataille, Harcourt doit reculer, perdre des hommes ; reculer encore et encore, sous la poussée de Raoul de Raineval et de ses soudoyers.
Encore une mêlée. Il reste autour du Boiteux quelques fidèles dont Pierre de Sacquenville, sire de Pacy-sur-Eure, et Robert Porte, l’évêque d’Avranches. Ils s’escampent.
Harcourt est quasiment seul. Il s’avise d’un vignoble sur la colline de Brévands. Nouveau recul. Et encerclement.
Harcourt se bat. On le charge à la hache. Il jette son épée et prend sa hache d’armes, qui sans doute ressemblait fort à la hache danoise de ses ancêtres. Bien que boiteux et désavantagé, il se bat magnifiquement. Des morts autour de lui, et des agonisants ; il patauge dans leur sang et le sien, mais demeure debout. Alors deux hommes
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