Les noces de fer
parlons :
Peu après la prise de Calais, tandis que le roi d’Angleterre y était encore, grand nombre de personnes, hommes et femmes, étaient partis d’Angleterre pour venir voir leurs maris ou leurs amis dans la ville nouvellement conquise. La flottille sur laquelle ils s’étaient embarqués était composée de dix navires. Il y avait en mer plusieurs navires français qui étaient sortis du port de Calais quand la ville s’était rendue ; ils attaquèrent les dix navires anglais, les prirent, en emmenèrent cinq sur lesquels étaient les femmes et coulèrent les cinq autres après avoir coupé la tête à 75 Anglais qui s’y trouvaient.
UN HOMME SI VERTUEUX !
La Chronique des quatre premiers Valois qui, selon toute vraisemblance, fut composée par le Rouennais Jean de Venette, mentionne évidemment le siège et la prise de Calais, mais les six bourgeois en sont absents.
Revenons, maintenant, à M. de Bréquigny. Il écrit, sur l’attitude d’Édouard III après la reddition :
Si Édouard eût été cruel, sa cruauté n’aurait pas manqué de prétextes. Mais il était généreux et s’en tint à la menace.
Et plus loin :
La reine , qu’on suppose avoir été touchée par le malheur des six bourgeois [392] ne laissa pas d’obtenir peu de jours après, la confiscation des maisons que Jean d’Aire avait possédées.
Pour une femme compatissante, elle allait vite en besogne.
Et plus loin, ce texte qui fut ignominieusement « tronçonné » par les contestataires de M. de Bréquigny :
Il ne faut pas s’imaginer, comme on le croit d’ordinaire sur la foi des historiens, que tout ancien possesseur fut chassé, que tout Français fut exclu. J’ai vu, au contraire, quantité de noms français parmi les noms de personnes à qui Édouard accorda des maisons dans sa nouvelle conquête. Mais je ne m’attendais pas à trouver, au nombre de ceux qui avaient accepté les bienfaits du nouveau souverain, celui qui semblait le plus fait pour les dédaigner : le fameux Eustache de Saint-Pierre.
Par les lettres du 8 octobre 1347, deux mois après la reddition, Édouard donna à Saint-Pierre une pension considérable en attendant qu’il ait pourvu amplement à sa fortune. Les motifs de cette grâce sont les services qu’il doit rendre, soit en maintenant le bon ordre dans Calais, soit en veillant à la garde de cette place. D’autres lettres du même jour, fondées sur les mêmes motifs, lui accordent, et à ses hoirs, la plupart des maisons et emplacements qu’ils avaient possédés dans cette ville et en ajoutent encore quelques autres. Comment Eustache de Saint-Pierre, cet homme qu’on nous peint s’immolant avec tant de générosité aux devoirs de sujet et de citoyen, put-il consentir à reconnaître pour souverain l’ennemi de sa patrie ; à s’engager solennellement de lui conserver cette même place qu’il avait si longtemps défendue contre lui ; enfin à se lier à lui par le nœud le plus fort pour une âme noble : l’acceptation d’un bienfait ? C’est ce qui paraît s’accorder peu avec la haute idée donnée jusqu’ici à son héroïsme patriotique.
On attribuera peut-être sa conduite au dépit excité de quelque mécontentement, et on alléguera ce qu’a dit Froissart, que Philippe ne fit rien pour récompenser le courage et la fidélité des braves Calaisiens. Mais Froissart était mal instruit. Nous avons plusieurs ordonnances de Philippe par lesquelles il pourvoit à l’indemnité des malheureux habitants de Calais. Nous en avons qui prouvent que cette indemnité eut lieu. Et les rois, ses successeurs, Jean II et Charles V, s’en occupèrent même encore.
Il faut donc qu’il en coûte quelque chose à la gloire d’Eustache de Saint-Pierre, puisque les faits que j’expose semblent y porter quelque atteinte ; j’oserai en tirer les conjonctures qu’ils font naître.
On a vu, par les lettres des Calaisiens, que leur dernière résolution était de sortir de leurs murs les armes à la main et de chercher à travers l’armée anglaise ou la mort ou la liberté. Il paraît constant qu’Eustache de Saint-Pierre combattit cette résolution désespérée. Dans le dernier conseil tenu à Calais, il se leva le premier et opina, selon le récit de Froissart même, à se rendre aux conditions qu’Édouard dictait. Il sauvait par là les assiégés et épargnait le sang des assiégeants. Il servait également les deux partis. Édouard dut
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