Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
à terre, observa le pied du mire enfoncé d’un tiers dans l’étrier, et sans l’aider à descendre de Plantamor, exprima une louange sincère :
    — Vous chevauchez parfaitement, et ces sandales ne vous y aident pourtant pas !
    Le mire le considéra avec une sorte de mansuétude amusée :
    — Ce n’est plus le temps des estiveaux [73] et mes cambals [74] , depuis longtemps, sont tombés en poussière… Ma peau est bien plus épaisse et plus dure qu’un cuir… Nous sommes à Montgaugier… C’était une commanderie… Est-ce la première que tu vois ?
    — Certes non ! Je connais celles de Coutances et Valcanville… En Périgord…
    — Je connais celle de Bonneface, près de Vélines… Mais vois : mieux que nous aux hommes de Nogaret, qui fut le pire ennemi du Temple, celle-ci résiste aux affronts du temps… Telle que je la revois, je lui trouve autant de grandeur que naguère.
    Caressant le dur et doux chanfrein de Marchegai, Ogier considéra les murs blafards verdis çà et là de coulées visqueuses ou ensevelis sous les luisantes grimpées du lierre. Entre deux granges comme accroupies dans leurs gravois, il entrevit les eaux d’un vivier devenu grenouillère. Tout, ici, se chargeait d’exhalaisons tragiques et il pouvait vivre aisément l’incursion des hommes d’armes à l’aube du vendredi 13 octobre 1307, leur déploiement autour des bâtiments, leur irruption dans le logis des chevaliers. Il put même imaginer le cri du capitaine ; «  Au nom du roi, nous venons vérifier le décime , puis nous vous questionnerons ! » Allégation mensongère devançant un cruel interrogatoire. Benoît Sirvin frotta ses reins douloureux :
    — Chaque fois qu’un chemin m’a conduit à une commanderie abandonnée comme un être frappé de pestilence, je n’ai pu m’interdire de ressusciter les allées et venues de mes frères, de leur éveil à la tombée du jour. Celle-ci, j’en atteste Notre-Dame, était paisible et prospère, accueillant mêmement le Templier chevauchant très souvent vers La Rochelle et le mendiant… car chez nous, la misère était honorée…
    Ogier abandonna les rênes de Marchegai qui le suivit en frottant ses naseaux contre son épaule. Il ne disait mot ; il regardait. Tout cet appareil solide, jadis forteresse et monastère, prenait à son approche un aspect familier que son vieux compagnon ne pouvait soupçonner. Ces pierres meurtries, éboulées ; ces arches de fenêtres croulantes – certaines assombries d’un rideau d’herbes folles –, ces portes dégondées et vermoulues souffraient du même mal dont Gratot avait failli périr : la vilenie et la misère. Les oiseaux s’étaient tus ; le souffle rude et régulier du vieillard, au lieu de troubler le silence, en soulignait plutôt l’épaisseur et la gravité.
    — Malgré toutes ces ronces qui semblent nous en interdire l’accès, nul maléfice ne nous guette… Prête-moi ton épée.
    Ogier dégaina et vit que Benoît Sirvin savait manier une lame.
    Dans les pas du vieillard, il avança entre des murs livides où des moisissures formaient des fresques grumeleuses. Parfois, une baie découpait un pan d’azur orné de feuilles et de branches. Cela sentait la mousse, la vase, et certains champignons formaient sur des amas de plâtre corrompu, des abcès blanchâtres pareils à d’énormes écrouelles. Souvent, sous la semelle, une dalle bougeait.
    — Moult commanderies, messire, n’ont pas connu cet abandon : les Hospitaliers en ont joyeusement hérité.
    — C’est vrai… Reprends ton épée. Elle est bonne !
    Ogier remit sa lame, maculée du sang vert des plantes, au fourreau. Benoît Sirvin leva l’index vers un cintre :
    — L’entrée du réfectoire… Suis-moi… Tiens, voilà la chapelle.
    Sitôt franchi le seuil, Ogier se signa ; bras croisés, le vieillard regarda les vitraux éclatés, les poutres fléchissant sous le poids d’une toiture dégradée, les boiseries putréfiées, le pavement disjoint par le serpentement d’invisibles racines. Rien ne laissait pressentir que ce lieu avait connu la vie, les bruits, les turbulences et les recueillements d’une communauté de guerriers.
    — Vois l’autel ! Il y a tant de ronces et d’orties tout autour qu’elles semblent le protéger… Dégage-le…
    En quelques coups d’épée, Ogier fit apparaître le devant de la sainte table.
    — Continue de ce côté-ci… Ah ! ces verdures sont tenaces… Mais vois :

Weitere Kostenlose Bücher