Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
belle. Oh oui, si belle et si douée en tout !
Une larme coula sur la joue de la jeune fille.
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La raison pour laquelle il a voulu à tout prix empêcher cette union, on la connaît à présent : au lit ce n'est pas un homme! Les uns disent que, tout simple≠ment, sa nature le trahit. D'autres vont plus loin : il serait incapable avec les femmes.
Certains même affir≠ment qu'il sert de femme aux garçons !
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Il n'est pas le seul dans ce cas.
Aurélia regarda, surprise, Agnès, qui avait accueilli sans sourciller cette révélation.
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Donc, poursuivit d'un ton calme celle-ci, c'est à
la suite d'une telle déconvenue que Laure a quitté le foyer conjugal pour rejoindre Amalbert à Agde.
Je vois que tu es au courant, nota la jeune fille.
Cependant je suis bien loin de savoir tout.
J'ignore, entre autres, o˘ elle avait fait connaissance d'Amalbert.
Laure a d˚ le rencontrer à l'occasion d'un séjour qu'il a fait à Narbonne pour son négoce. C'est, il faut le dire, un tout autre homme que Harbald. Elle s'en est éprise aussitôt !
Et, en fin de compte, elle est partie avec lui.
Non sans hésiter, tu peux me croire. Elle m'a fait part de ses doutes. Je sais qu'elle a d'abord tout tenté
avec son époux. Elle a fini par le mépriser et le haÔr.
Elle était excédée. Laure ne manquait ni de courage ni d'audace. Elle s'est résolue à sauter le pas.
La voici donc à Agde dans cette villa qu'on m'a décrite : à l'écart de la cité, isolée, non loin du rivage, en fait une escale pour esclaves. Commerce clandestin selon toute apparence. Comment a-t-elle vécu en un tel lieu?
Les premiers mois ont été pour elle un délice : un compagnon viril, attentionné. Elle était servie comme une reine. Bientôt elle a d˚ constater, à la fois joyeuse et préoccupée, qu'elle attendait un enfant.
Mettre au monde un b‚tard n'est jamais ni très agréable ni aisé.
L'accouchement s'est-il bien passé?
A merveille, m'a-t-elle dit. Elle a donné nais≠
sance sans difficulté à un petit m‚le qu'ils ont nommé
Leuthard, comme le père d'Amalbert.
C'est un nom franc!
Mais Amalbert est franc, du moins de père.
J'ignore qui est sa mère.
Agnès réfléchit un instant.
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Geroul et Catulle ont appris cette naissance, nous le savons. qu'ont-ils fait alors, qu'ont-ils dit, dans quelles dispositions cette naissance les a-t-elle mis?
Il faut dire qu'elle a soulevé une vive émotion de part et d'autre. Très vive ! Un parfum de scandale : cet enfant adultérin confirmait les rumeurs qui couraient déjà sur l'incapacité de Harbald. Et quelle atteinte à
l'honneur de Catulle : sa fille enfantant un b‚tard, loin de Narbonne, en secret, fils de Dieu sait qui, comme une drôlesse ! Les pères étaient, l'un comme l'autre, fous furieux.
Sont-ils allés jusqu'à envisager des expédients extrêmes, comme de s'emparer du b‚tard pour l'éloi≠
gner, voire pour le faire disparaître, ou encore enlever Laure ?
Mettre à mort l'enfant, peut-être. Enlever
Laure... Plus facile à imaginer qu'à exécuter.
quelqu'un pourtant a bien fini par y arriver.
Oui, et je continue à trouver cela stupéfiant. La villa d'Amalbert était sous la protection de gardes vigoureux et très attentifs, sans parler des chiens qu'il ne faisait pas bon défier.
Agnès exprima son étonnement.
Comment as-tu appris tout cela? demanda-t-elle.
J'ai rencontré Laure après son départ à plusieurs reprises. J'accompagnais parfois mon père lors de voyages au cours desquels il faisait étape à Agde. J'ai pu faire prévenir Laure de mes brefs séjours. Amalbert la laissait assez libre de ses mouvements. Nous avons pu ainsi nous retrouver et elle m'a tenue à chaque fois informée.
ï - Tu as donc pu te rendre compte de la façon dont il se déroulait son aventure.
Le visage d'Aurélia se rembrunit.
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Certes, et j'ai d˚ constater qu'à des débuts sans nuage avaient succédé des jours plus sombres. Avec la naissance du petit Leuthard, Amalbert, tout en se réjouissant de la venue d'un descendant, a commencé à
négliger la couche de sa compagne. Il faut dire aussi qu'il s'est trouvé de plus en plus occupé par les pro≠blèmes de son négoce, et même très préoccupé.
que veux-tu dire ?
Il portait tort à beaucoup avec ses pratiques : aux Juifs qui appliquent consciencieusement les règlements et ne négligent pas de payer les droits, à l'archevêque et au comte qui les perçoivent, bref à tous ceux
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