Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
habitait, dans la cité, sur la rive droite de l'Aude, avec sa femme et ses trois enfants, dont Auré≠lia. Cependant son négoce l'éloignait souvent de la ville.
Le comte Childebrand, conformément au premier objet de sa mission, étant parti pour Barcelone, en vue d'inspecter les garnisons dans cette région, à
la tête
d'un escadron de gardes désignés par Sturmion et très fiers de servir sous le commandement d'un Nibelung, Erwin, de manière provisoire, dirigeait donc seul l'enquête. Pour retrouver la trace d'Aurélia, il lui sem≠bla que le frère Antoine, qui savait se présenter avec une onction tout ecclésiastique, était mieux indiqué que le toujours fringant Timothée. Le moine, sur ordre du Saxon, se mit donc en quête et parvint sans diffi≠culté
à la demeure de Hugon. Bertha, la femme du négociant, après avoir hésité à
ouvrir la porte de son logis, réserva à son visiteur un accueil grinçant : non, son mari n'était pas à la maison; elle ne savait pas quand il reviendrait. Aurélia? Dieu seul pouvait dire o˘ elle se trouvait pour l'heure. Avec toutes ces his≠toires de noyées, elle avait bien raison de ne pas se montrer! Il fallait se méfier de tout le monde à
présent !
Le frère Antoine, tout en écoutant d'un air recueilli ce flot de récriminations, avait remarqué qu'Armand, le plus jeune des enfants, lui adressait un signe furtif sur la signification duquel il ne pouvait se tromper. Le moine prit congé benoîtement de la maîtresse de mai≠son. Comme il s'y attendait, il fut raccompagné jusqu'à la porte par Armand à qui il fit miroiter une pièce d'une obole. Le gamin lui fit signe de se pencher et lui glissa dans l'oreille une adresse, tout en empo≠chant avec vivacité sa récompense.
Le Saxon félicita son assistant. On devait à présent pouvoir rencontrer Aurélia. Encore fallait-il choisir un émissaire qui inspire assez confiance à la jeune fille pour que celle-ci lui révèle ce qu'elle savait de l'aven≠ture à l'issue de laquelle son amie Laure avait trouvé la mort. Une femme comme Agnès, aquitaine et connais≠sant la langue du pays, saurait, mieux qu'un Franc ou un Burgonde, rassurer cette Aurélia, qui devait se croire en danger, et obtenir d'elle les confidences sou≠haitées. La réunion se poursuivit en présence d'Agnès
qui avait été convoquée et à qui Erwin fit part de la décision qu'il avait prise. Elle l'approuva d'un signe respectueux de la tête, avec calme, comme si elle s'attendait à devoir accomplir, à un moment ou un autre, une t‚che semblable. Elle fut alors mise au cou≠
rant des résultats obtenus que Doremus exposa sobre≠
ment, Timothée en n'omettant aucun détail, et le frère Antoine en bougonnant. Le Saxon résuma le tout en quelques phrases lapidaires, précisant quels enseignements il espérait de l'entrevue qu'Agnès aurait avec,
Aurélia.
Le lendemain matin, Nogret, que le missus avait accepté de mettre à
l'épreuve, partit pour le domaine * que possédait Drusus, l'ami de Hugon, chez qui Auré- * lia s'était sans doute réfugiée. Situé à une lieue environ
" de la cité, ce domaine était constitué pour l'essentiel de terres maraîchères dont les produits approvisionnaient ^ la ville. Elles entouraient une modeste demeure." Nogret se présenta, seul, à la porte de cette villa. Un * homme, de taille élevée et corpulent, s'approcha à pas lents du portail, à l'évidence sur ses gardes. Le visiteur produisit un document que Dodon avait rédigé et bien inutile d'ailleurs car Drusus ne savait pas lire. Le mes≠sager d'Erwin expliqua alors, en langue romane, ce qui contribua à rassurer le maraîcher, qu'une dame de haut rang, nommée Agnès, sur ordre de l'abbé Erwin, trèSÔ puissant envoyé de l'empereur, se proposait de faire*, visite en ce lieu à la fille de l'honorable négociant Hugon.
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Les missionnaires du souverain présents à Narbonne, tu en as certainement entendu parler...
Le maraîcher acquiesça.
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... ont été vivement émus par ces noyades qui ont bouleversé le pays. Aussi n'auront-ils de cesse qu'ils n'aient mis la main sur les meurtriers pour leur faire subir les ch‚timents qu'ils méritent. Ils entendent ainsi assurer une protection sans faille à tous les hon≠
nêtes gens. Voilà quel est l'objet de la démarche de dame Agnès, dépêchée par mes seigneurs, à Auré≠lia, laquelle aura à
cúur, j'en suis certain, de les aider à restaurer en cette
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