Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
aux≠
quels il faisait une concurrence déloyale.
Tu es bien savante en ces domaines.
Fille de commerçant, je sais écouter et retenir. Et puis, ajouta Aurélia avec orgueil, je sais lire, compter et chanter la messe, moi !
Je t'en félicite.
Pour en revenir à Laure, je crois que l'état misé≠
rable de ces pauvres êtres, ramassés au hasard d'expé≠
ditions, guerrières et autres, transportés pire que du bétail, parqués de même, nourris tout juste pour qu'ils ne crèvent pas, oui, cela l'a révoltée. Cette indignation n'a trouvé aucun écho chez son compagnon qui ne songeait qu'à amasser de l'or. De l'écúurement elle est passée au dégo˚t. Elle a commencé à regretter sa vie passée, Narbonne et même sa famille. Elle s'est mis alors dans la tête de revenir vivre parmi les siens.
Elle s'en est ouverte à moi. D'o˘ une démarche, vaine hélas! que j'ai tentée auprès de Geroul et une autre auprès de Catulle.
Ont-ils, l'un et l'autre, refusé son retour?
Geroul sans discussion possible, Catulle s'est montré plus hésitant.
quand as-tu tenté cette intervention?
Cinq ou six semaines environ avant qu'on ne la retrouve.
Agnès laissa à la jeune fille, bouleversée par cette évocation, le temps de recouvrer un peu de calme.
-
Et ensuite ? demanda-t-elle.
Aurélia passa la main sur son front.
Tu imagines bien que j'ai pensé à tout cela
souvent, très souvent, reprit-elle. Laure, en fait, était menacée de tout côté parce qu'elle était elle-même une menace, très grave : pour Geroul et son fils, cela va de soi, mais aussi pour Amalbert. Elle en savait beaucoup trop sur ses négoces. Il devait se douter qu'elle avait l'intention de le quitter. Si elle le faisait, elle allait emporter avec elle des secrets dangereux ! Pour lui !
A ce compte-là, tu le menaces toi aussi, en rai≠
son des confidences que ton amie t'a faites. Donc tu es menacée !
-
Je ne le sais que trop. C'est pourquoi je me suis réfugiée ici. Autour de moi la famille de Drusus fait bonne garde.
La jeune fille hocha la tête.
-
N'oublions pas le petit Leuthard, souligna-t-elle.
Certes Amalbert se détachait de Laure peu à peu, mais il tenait plus que jamais à son fils, farouchement, féro≠cement ! A la pensée qu'elle pourrait partir en l'emme≠nant avec elle... ah, il était capable de tout! Laure me
l'a confié un jour en frémissant.
Agnès s'accorda à nouveau un long moment de réflexion avant de demander : Sais-tu si c'est elle qui a quitté Amalbert et, si oui, quand, pour aller o˘?
Elle m'avait parlé, il y a quelques mois, d'un refuge à Leucate, mais sans autre précision, si bien que je ne peux répondre à ta question.
Et Amalbert, as-tu une idée des raisons pour les≠
quelles il a vidé les lieux de la sorte, et de l'endroit o˘
il s'est replié avec ses gardes et ses serviteurs, sans oublier ses chiens?
Ce qui vient à l'esprit d'abord, c'est qu'il s'est enfui avec l'enfant, à cause de l'enfant, peut-être après s'être débarrassé de Laure. Mais n'oublie pas non plus qu'il se savait traqué par plus d'un ennemi. Alors...
Et l'enfant?
-
J'espère pour lui, et pour la mémoire de mon
amie, qu'il est toujours vivant. Dans ce cas, il y a de grandes chances pour qu'il soit avec son père. Sinon, je crois que j'en aurais entendu parler, quoi qu'il soit arrivé. Tu sais, ici, les murs ont des oreilles.
-
Comme partout.
Agnès se leva.
Il me reste à te remercier, dit-elle. Ton témoi≠
gnage, si précis, sera rapporté avec une exactitude scrupuleuse à mes seigneurs... Tu sais o˘ ils séjournent à Narbonne ?
Tout le monde le sait.
A la moindre alerte, Aurélia, au moindre soup≠
çon de quelque danger, ou encore si tu viens à
apprendre du nouveau, n'hésite pas ! Viens tout de suite me trouver, nous trouver ! Notre aide et notre pro≠tection te sont acquises, à toi et aux tiens.
Aurélia s'approcha d'Agnès qui la prit dans ses bras et lui donna deux baisers sur les joues. La jeune fille frémit au contact de cette femme si souple, si légère, si troublante.
Après cet entretien, l'envoyée des missionnaires impériaux prit congé de ses hôtes en les félicitant et en les remerciant pour la contribution qu'avait apportée Aurélia à l'enquête entreprise. Elle leur remit une petite bourse garnie de deniers à partager entre la famille d'Aurélia et eux-mêmes. Elle fut raccompa≠gnée avec de grands honneurs par Drusus et les siens qui se
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