Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
il pourra même affirmer que tu m'avais déjà ligotée, aveuglée et b‚illonnée, lorsqu'il est arrivé. qui, à part moi, sait que tu n'as jamais eu l'intention de me supplicier, mais, au contraire, de me sauver? Lors de l'assemblée qui va se tenir demain, ceux qui veulent faire de toi un bouc émissaire pour≠
ront aisément prétendre que le " nouvel enlèvement "
auquel tu as procédé fournit une preuve irréfutable de ta culpabilité dans toutes les noyades !
Elle fit deux ou trois pas dans la pièce en méditant et revint vers lui.
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Je crains, avança-t-elle, je suis certaine même, que ta générosité et ton horreur du crime n'exigent de toi bien plus que la seule décision de ne pas me mettre à mort.
Elle se dirigea vers la porte.
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Viens, accompagne-moi, lui proposa-t-elle. Je vais demander conseil à mes amis !
Ils s'engagèrent sur des sentiers qui sillonnaient les alentours marécageux du moulin et il s'étonna de ce qu'elle découvrait là o˘ il n'avait rien distingué : ici l'entrée d'un terrier de blaireau, là une pierre recou≠verte d'écaillés de poisson et sur laquelle une loutre devait dévorer ses proies, ailleurs des nids abandonnés, des vipères d'eau vivaces et des couleuvres paisibles, des brochets à l'aff˚t... Elle cueillait de temps à
autre des plantes, des feuilles, des bourgeons, des fleurs sèches... et en expliquait les usages médicinaux. Tout le long du chemin, elle sembla s'adresser, avec des for≠mules secrètes, d'une voix à peine audible, à des esprits ayant élu leurs demeures dans des souches, des feuillages, dans les eaux, au sein du marécage. Tout à coup, elle s'arrêta près d'un saule et prononça une sorte de supplication. Alors, non sans étonnement ni crainte, Emmeran vit une salamandre sortir de terre et s'approcher d'Agnès qui la regarda longtemps comme si la bête de feu lui révélait des savoirs magiques. Le soir tombait quand ils regagnèrent le moulin.
Je vois maintenant, annonça-t-elle, comment
contrecarrer leurs plans. Mais pour cela, il faut que tu me dises tout ce que tu sais sur la façon dont ces jeunes femmes ont été assassinées. Car un mystère demeure : que Foucaud ait résolu de faire périr Laetitia, que Fabian peut-être, en tout cas Harbald et Aymeric aient voulu se débarrasser de leurs épouses puis aient décidé
de le faire, on en connaît à présent les raisons, on sait comment ils ont procédé pour tenter d'égarer les soup≠
çons. Mais pourquoi avec cette cruauté ignoble, spec≠
taculaire, diabolique? Ils auraient pu s'y prendre plus simplement, si j'ose dire!
Je savais bien, marmonna Emmeran, que je ne
pourrais plus me contenter d'être un témoin innocent et muet.
Il se recueillit.
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Tout a commencé, expliqua-t-il, au cours d'une rencontre qui s'est tenue à Leucate, chez Aymeric, à
l'initiative de Harbald, en la présence, outre celle de mon frère et du négociant, de l'armateur Foucaud.
C'est là, à ce moment, que la fatale décision a été
prise. Mais, quant à sa mise en úuvre...
Lorsque Emmeran et Agnès apparurent sur le seuil de la salle o˘ se tenait la réunion décisive, ceux qui y participaient se tournèrent vers eux, n'en croyant pas leurs yeux. Tout à coup Harbald bondit, pointa le doigt vers cet homme qui lui ressemblait tellement qu'on e˚t dit son double, et tous entendirent, stupéfaits, le fils de Geroul accuser son jumeau et exiger qu'il soit appré≠hendé, en criant d'une voix suraiguÎ :
-
Le voici, le criminel, la crapule, le bandit ! Arrê≠
tez-le ! Mais arrêtez-le donc !
Comme aucun garde ne bougeait, il s'élança vers Emmeran en hurlant :
-
Mais qu'est-ce que vous attendez pour mettre la main sur lui?
A cet instant, le comte Childebrand se dressa et lança sur un ton impérieux :
-
Assez, Harbald, assez ! Gardes, faites votre office !
Deux de ceux-ci se portèrent au-devant du furieux qui continuait à proférer des accusations et des insultes ; ils s'en saisirent, le ramenèrent de force à sa place et l'y maintinrent bien qu'il se débattît, en proie à une colère rageuse.
Emmeran et Agnès, qui avaient attendu le retour au calme, s'approchèrent alors, à pas lents, de l'estrade, tandis que tous observaient, médusés, le ravisseur et sa prétendue captive avancer, côte à côte, vers les repré≠sentants du tout-puissant empereur. L'assistante des missi monta sur le podium pour un bref échange de
vues avec le Nibelung et le
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