Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon

pré≠
    cédentes noyées.
    Voilà une initiative particulièrement stupide, car si jamais pareil supplice m'ôtait de ce monde, le comte Childebrand et l'abbé Erwin remueraient ciel et terre pour en découvrir les auteurs ainsi que les instigateurs, et ils n'hésiteraient pas à recourir aux moyens les plus cruels pour mettre au jour la vérité, quitte à soumettre des innocents à la question ! souligna-t-elle avec le plus grand calme. En outre, je doute qu'une pareille menace, même me concernant, les incite à ne pas accomplir jusqu'au bout leur t‚che au service de la jus≠
    tice impériale... Cela dit, faut-il qu'ils soient arrivés près de la vérité pour que les coupables aient eu recours à un tel expédient !
    Je dois dire que les recherches conduites par les assistants de la mission, tes amis, en particulier dans les archives et les comptabilités des uns et des autres, placent en effet cette vérité à portée de leur main. Les missionnaires de l'empereur ont d'ailleurs convoqué
    pour demain une assemblée à laquelle doivent assister tous ceux dont les familles ont été affectées par les for≠
    faits récents et au cours de laquelle doivent être dévoi≠

    lés les noms des meurtriers ainsi que les raisons de leurs crimes. Telle est du moins la conviction de celui qui vient de m'apporter ces nouvelles.
    Emmeran secoua la tête avec un air à la fois incré≠dule et navré.
    -
    Dans l'esprit de ceux qui ont formulé cette sommation, tu te trouverais ainsi en sursis jusqu'à la déci≠sion des missi dominici, précisa-t-il. Annonceraient-ils que l'enquête se poursuit et que les assassins, décou≠verts et appréhendés, allaient passer en jugement ? Tu subirais le pire des sorts ! Suspendraient-ils enquête et poursuites ? Tu serais libérée !
    -
    Et c'est toi qui serais chargé éventuellement d'exécuter la sentence ? demanda-t-elle en le regardant avec une acuité et une autorité qui l'impressionnèrent, comme l'avait troublé l'autre Agnès, celle qu'il avait découverte, la veille, à la lueur des flammes, à laquelle il avait prêté des pouvoirs surnaturels, celle qui, à
    présent, le tenait à nouveau sous son emprise.
    Il entendit à nouveau, comme venant de très loin, cette interrogation :
    -
    Toi, malheureux Emmeran?
    Elle éclata d'un rire inquiétant.
    Je ne sais, lui dit-elle à l'oreille, qui t'a dévolu ce rôle, mais c'est un sot. Comme toi, Emmeran. Peut-
    être, quand même, moins sot que toi ! Réfléchis, si tu en es encore capable. Connais-tu l'histoire de cet archer dont on ne comptait plus les victimes ? Il parais≠
    sait viser Petrus et sa flèche allait transpercer Marcus !
    En vérité, la véritable cible de ceux qui veulent faire de toi un exécuteur de leurs basses úuvres, ce n'est pas moi, mais toi, mon pauvre Emmeran. Car, si tu me mettais à mort, ils ne manqueraient pas de le faire savoir et pourraient alors te faire endosser tous leurs crimes !
    Pourtant, quoi que tu penses, c'est à eux qu'il faudrait décerner la palme de la sottise ! répliqua-t-il.
    Comment ont-ils pu penser un seul instant que j'exé≠
    cuterais une telle sentence ? Oui, je suis un bon à rien, un voleur, un escroc, oui, j'ai vécu, et à mon aise, d'expédients... tu me comprends !
    Il la fixa avec un regard dans lequel il mit toute sa sincérité.
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    Mais jamais, tu m'entends, jamais le sang du
    crime ne m'a souillé! Jamais il ne me souillera!
    Il alla ouvrir un petit coffre qui se trouvait dans un recoin et il en tira une corde, et deux pièces d'étoffe.
    -
    Voilà, s'écria-t-il avec une expression de pro≠
    fond dégo˚t, avec quoi je devais te ligoter, t'aveugler et te b‚illonner avant de te noyer.
    Il jeta ces objets dans le feu. Ils les regardèrent se consumer.
    -
    Je ne comprends toujours pas, reprit-elle. Si tu étais décidé à ne pas appliquer leur sentence, quoi qu'il p˚t arriver, pourquoi as-tu accepté de m'enlever?

    Un sourire bienveillant éclaira son visage, révélant un tout autre homme que le filou désabusé qu'il jouait volontiers.
    -
    Mais, Agnès, répondit-il d'une voix douce, pour qu'ils ne confient pas cette t‚che à un véritable assas≠
    sin!
    Elle en fut touchée et, après une courte réflexion, lui fit remarquer qu'il prenait là un risque redoutable.
    -
    Car tu es bel et bien aux yeux de tous mon ravis≠
    seur, souligna-t-elle. Au besoin, le messager qui est venu jusqu'ici pourra en témoigner et, comme il ne m'a pas aperçue,