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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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civil, et à côté de lui se tenaient sa femme et deux petits enfants avec de rondes figures de poupée. Le Japonais se désigna lui-même, puis il fit deux gestes de ses mains au-dessus du sol pour indiquer la taille de ses enfants.
    Gallagher regarda la photographie, et ressentit un serrement de cœur. Le temps d’une seconde il se rappela sa femme, se demandant à quoi ressemblerait son propre enfant. Il se rendit compte avec stupeur que sa femme pouvait être en couches dans ce moment précis. Pour une raison qu’il ne comprit pas, il dit brusquement au Japonais : « Je vas avoir un bébé dans une couple de jours. »
    Le prisonnier sourit poliment, et Gallagher, se désignant lui-même d’un geste coléreux, écarta ses mains à la mesure d’un nouveau-né. « Moi, dit-il. Moi.
    – Ahhhhhh, fit le prisonnier. Chiisaï !
    – Oui, chiis-aille », dit Gallagher.
    Le prisonnier secoua la tête avec lenteur, puis sourit de nouveau.
    Croft s’approcha de lui, et lui donna une autre cigarette. Le Japonais s’inclina profondément, puis accepta l’allumette. « Arigato, arigato, domo arigato », dit-il.
    Croft sentit une intense pulsation battre dans sa tête. Impassiblement, il vit des larmes jaillir dans les yeux du prisonnier, puis il reporta son regard sur la petite clairière, observant une mouche qui bougeait sur les lèvres de l’un des cadavres.
    Le prisonnier prit une longue bouffée et s’appuya contre l’arbre. Ses yeux s’étaient fermés, et pour la première fois il y eut une expression rêveuse sur son visage. Croft sentit une tension dilater sa poitrine. Sa bouche devint sèche et amère et avide. Jusqu’alors son esprit était resté complètement vide, mais tout à coup il souleva son fusil et le pointa sur la tête du prisonnier. Gallagher fut sur le point de protester, quand le Japonais ouvrit les yeux.
    Le coup de feu lui fit éclater le crâne avant qu’il eût le temps de changer d’expression. Il s’effondra en avant, puis roula sur son côté. Il souriait toujours, mais il avait un air niais maintenant.
    Gallagher essaya de parler, mais il en fut incapable. Il ressentit une peur épouvantable, et une fois de plus il songea à sa femme. « Oh ! mon Dieu, sauvez Mary, mon Dieu sauvez Mary », se répétait-il sans penser à la signification de ses mots.
    Croft ne quitta pas des yeux le Japonais pendant une longue minute. La pulsation s’atténuait dans sa tête, et la tension refluait de sa poitrine et de sa bouche. Il se rendit soudainement compte que, tout au fond de lui-même, il avait su qu’il allait tuer le prisonnier – qu’il l’avait su dès le moment où il avait renvoyé Red. Il se sentait totalement vide. Le sourire, sur la face de l’homme mort, l’amusait, et il fit entendre un rire trivial qui s’écoula comme un ruisselet de ses lèvres. « Cré nom de Dieu », dit-il. Il pensa de nouveau aux Japonais lors de leur tentative de traverser la rivière, et il poussa du pied le cadavre. « Cré nom de Dieu, dit-il, ce Japonais c’est sûr qu’il est mort heureux, » Le rire, au-dedans de lui, gagna en force.
    Plus tard, ce matin-là, Reconnaissance reçut l’ordre de retourner sur l’arrière. Ils plièrent leurs tentes, firent leurs paquetages, remplirent leurs bidons à la provision d’eau rapportée par Red, Gallagher et Croft, mangèrent un morceau dans l’attente de la relève. Vers midi une escouade de la compagnie A vint occuper l’avant-poste, et les hommes de Reconnaissance quittèrent leur colline et prirent la piste qui menait au premier bataillon. Ce fut une longue vadrouille sur un sentier vaseux au cœur de la jungle, et au bout d’une demi-heure de marche dans la boue ils se sentirent crouler sous l’accablement. Certains d’entre eux jubilaient ; Martinez et Wyman respiraient librement, et Wilson pensait au whisky. Croft était taciturne, pensif, tandis que, nerveux et irritables, Gallagher et Red lançaient des regards au moindre bruit tant soit eu inattendu. Red devint conscient qu’il ne cessait pas e se retourner pour regarder derrière lui. Ils mirent une heure pour atteindre le premier bataillon, et après un court repos ils reprirent une piste latérale qui menait au deuxième bataillon. Ils y arrivèrent vers le milieu de l’après-midi, et Croft reçut l’ordre de camper pour la nuit dans le périmètre du bivouac. Les hommes se débarrassèrent de leurs sacs, déballèrent leurs toiles imperméables, et

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