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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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tellement quand je pense au bébé, seulement parfois je peut pas croire que c’est si bientôt. Le docteur a dit que c’est plus que trois semaines maintenant. » Gallagher replia la lettre et se mit à marcher en rond, aveuglément. Une pustule pourpre, sur sa mâchoire, se contracta, nerveusement. « Oh ! Sauveur Christ », dit-il à haute voix. De nouveau il fut saisi d’un tremblement.
    Gallagher ne pouvait pas accepter la mort de Mary. La nuit de garde, il se surprenait pensant à son retour, imaginant comment ça serait quand Mary viendrait l’accueillir. Un sourd désespoir l’accablait, et il se répétait machinalement : « Elle est morte, elle est morte », sans y croire tout à fait. Il s’étourdissait.
    Les lettres de Mary ne cessant pas d’arriver, il commença de se persuader qu’elle était en vie. Si quelqu’un lui avait demandé des nouvelles de sa femme, il aurait dit : « Elle est morte », et cependant il continuait de penser à elle comme par le passé. Quand elle écrivait qu’elle s’attendait à accoucher dans dix jours, il situait l’accouchement dans la dizaine qui devait suivre la réception de sa lettre ; quand elle lui disait qu’elle avait visité sa mère la veille, il pensait – c’était hier, à l’heure qu’on mangeait le rata. L’habitude de participer, pendant des mois, de l’existence de Mary par le seul truchement de ses lettres s’était trop profondément ancrée en lui, pour qu’il pût la surmonter. Il commençait de se sentir heureux ; il espérait l’arrivée des lettres, il y pensait avant de s’endormir.
    Pourtant, au bout de quelques jours il se rendit compte avec terreur que la date de l’accouchement se rapprochait de plus en plus, et qu’il y aurait finalement une dernière lettre, après laquelle Mary serait morte. D’elle, il ne resterait plus rien. Jamais plus il ne recevrait de ses nouvelles. Il oscillait entre la panique et l’incertitude ; il avait des moments où il croyait simplement et absolument qu’elle était en vie ; – l’entrevue avec l’aumônier faisait partie d’un rêve. Mais, parfois, quand plusieurs jours s’écoulaient sans lettres, Mary lui devenait lointaine et il comprenait qu’il ne la reverrait jamais. Toutefois, la plupart du temps ses lettres l’émouvaient superstitieusement ; il se mit à penser qu’elle n’était pas morte mais qu’elle allait mourir, à moins qu’il ne trouvât quelque moyen pour la sauver. L’aumônier lui avait demandé à plusieurs reprises s’il Voulait partir en permission, mais il fut incapable de considérer la chose : cela lui aurait fait admettre ce à. quoi il ne voulait pas croire.
    Contrairement à la frénésie avec laquelle il avait travaillé dans les débuts, il se prit à abandonner le chantier, faisant de longues marches solitaires le long de la route. On l’avait mis plusieurs fois en garde contre les embuscades japonaises, mais il n’était pas en état de s’en préoccuper. Un jour il rentra au bivouac à pied, une distance de sept milles. Les hommes pensaient qu’il perdait la raison ; de temps à autre, la nuit, ils en discutaient, et Croft disait : « Ce gars, il perd la boule. » Ils ne savaient que faire, ils n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils auraient pu lui dire. Red proposa d’arrêter de lui remettre son courrier, mais les autres avaient peur d’intervenir. Ils éprouvaient le saisissement et la terreur qu’ils auraient ressentis en présence de quelque événement inéluctable. Gallagher ne les embarrassait plus ; ils l’étudiaient avec une curiosité morbide, comme ils auraient observé un malade qui n’a que peu de temps à vivre.
    Le vaguemestre, à qui l’on rapporta la chose, s’en fut trouver l’aumônier, lequel parla à Gallagher. Mais quand le père Leary lui eut suggéré qu’il s’en trouverait peut-être mieux s’il s’abstenait de lire les lettres de sa femme, Gallagher plaida sa cause, marmonnant : « Elle va mourir si vous arrêtez son courrier. » Encore que le sens de ces paroles eût échappé à l’aumônier, il devina l’intensité des sentiments qu’elles trahissaient. Troublé, il balança s’il ne devait pas recommander l’envoi de Gallagher dans un hôpital, mais il avait des préjugés contre les asiles d’aliénés : Ils lui faisaient horreur. Une démarche, qu’il entreprit confidentiellement en vue d’obtenir une permission pour Gallagher, se révéla

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