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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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erreurs ; il était convaincu qu’on éventerait sa manœuvre. Il essayait de se concentrer, se surprenait répétant toujours la même addition – « huit plus trente-cinq font… font… huit plus trente-cinq font trois et je retiens un… » Il eut des troubles de digestion, et c’est à peine s’il put prendre sa nourriture. Il lui arriva de rester au lit, suant, en proie à l’angoisse et au désespoir, s’étonnant que personne ne s’aperçût de rien.
    Sa vie sexuelle en pâtit. Il n’avait que dix-huit ans quand il s’était marié, peu de semaines avant cette affaire de meubles, et, son inexpérience aidant, il s’était montré aussi bien inepte qu’incapable de se contrôler. Ses transports étaient brefs et nerveux ; il lui arriva de pleurer dans les bras de sa femme à la suite de ses échecs. Il s’était marié si jeune parce qu’il était amoureux, mais aussi parce qu’il avait confiance en lui-même, et qu’il piaffait. On lui avait toujours dit qu’il paraissait plus vieux que son âge, et il croyait qu’il fallait courir sa chance, assumer ses responsabilités dès lors que l’on se pensait capable de les porter. C’est pour cette raison qu’il acheta les meubles. Mais, à cause de l’anxiété que cette affaire lui valut, les exigences de sa vie matrimoniale excédèrent ses forces. Et son échec au lit ne fit qu’alimenter son angoisse.
    Après qu’il eut remis l’argent, sa virilité remonta d’un cran, encore que, sous ce rapport, il eût toujours manqué de confiance en lui-même. Il ressentait une nostalgie inconsciente au souvenir de -son célibat, quand il passait de longues heures passionnées à peloter sa future femme. Mais, de tout cela, il n’extériorisait à peu près rien ; il ne raconta jamais à sa femme comment les meubles furent achetés, et il feignait une si grande passion à faire l’amour qu’il finit par y croire. Du garage, il passa comme employé de bureau chez un expert-comptable, et il étudia la comptabilité dans une école du soir. Il apprit d’autres façons de faire de l’argent, et il conçut son enfant de propos délibéré. II y eut de nouveaux soucis d’argent, de nouvelles nuits blanches, où, immobile et transpirant, il essayait d’apercevoir le plafond dans l’obscurité. Mais, avec le matin, sa confiance lui revenait, et les risques semblaient toujours valoir la peine d’être courus.
    « Il faut du nerf pour le faire », répéta-t-il à Brown. Encore que désagréables,. ses souvenirs l’emplissaient de fierté. « Si on veut arriver, dit-il, il faut connaître la musique.
    – Sûr, il faut savoir à qui faire la lèche, lui rappela Brown. "
    – Ça fait partie du système »  dit Stanley froidement. Brown possédait encore quelques armes qu’il pouvait employer contre lui. Il regarda les hommes étalés sur la plage, cherchant comment il pourrait renvoyer la balle à
    Brown. Il aperçut Croft qui, marchant à grand pas, scrutait la jungle.
    « Qu’est-ce qu’il fait, Croft ? demanda-t-il, le suivant des yeux.
    – Il a probablement vu quelque chose », dit Brown, sur le point de se relever. Tout autour d’eux les hommes de la section commençaient de remuer comme du bétail qui tourne la tête dans la direction d’un son ou d’une odeur insolites.
    « Hé ! Croft est toujours en train de fouiner, grogna Stanley.
    – Y a quelque chose qui se passe », marmotta Brown. A cet instant Croft tira une rafale dans la jungle et se laissa tomber à terre. Les hommes sursautèrent au bruit de la fusillade, inespérément sonore, puis s’aplatirent dans le sable. Un fusil japonais tira de retour, et tous se mirent à canarder la jungle sans discernement. Stanley se surprit à suer si intensément qu’il ne put situer le viseur de son fusil. Il restait là, ses sens brouillés, son corps se contractant inconsciemment au passage des balles. Cela sonnait comme un bourdonnement d’abeilles, et il songea avec surprise – mais quelqu’un pourrait être blessé, line plaisanterie à ce sujet lui vint tout aussitôt à l’esprit, et il se mit à rire faiblement. Quelqu’un, derrière lui, poussa un cri, et la fusillade s’arrêta. Il y eut un long et anxieux silence parmi les hommes, et Stanley observa l’air chaud qui tremblotait au-dessus du sable.
    A la fin Croft se mit debout avec précaution et s’élança vers la jungle. Arrivé à la lisière des broussailles, il fit signe à ceux qui se

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