Les Nus et les Morts
l’embarcation. « Comment que tu sais ça, les choses sur l’Italie ?
– Eh, qu’est-ce que tu veux dire ? fit Polack. J’ai vécu avec une bande de métèques. J’en sais plus sur eux que toi.
– Non, tu sais pas, dit Minetta. Je raconte jamais ces choses à personne parce que tu sais comment ils sont les gens, ils pensent que tu te paies leur figure, mais tu peux me croire, c’est la vérité, parole. On était du grand monde nous autres, noblesse, là-bas en Italie. Mon père a jamais fait une journée de travail dans sa vie, il faisait que chasser. On avait une vraie propriété.
– Tu parles.
– Tu crois que je te raconte des blagues. Regarde, regarde-moi. Tu vois, j’ai pas l’air d’un Italien, j’ai les cheveux châtains et la peau claire. Tu devrais voir le reste de ma famille, sont tous blonds, je suip la brebis galeuse.
C’est comme ça qu’on reconnaît tes aristocrates, ils ont le teint clair. La ville d’où qu’on vient porte le nom d’un de mes ancêtres, le duc de Minetta. »
Polack s’assit. « Pourquoi qu’on se crève le cul ? Laisse qu’on se repose.
– Dis, continua Minetta avec persuasion, je sais que tu me crois pas, mais si jamais tu vas à New York viens me voir et je te montrerai les médailles de ma famille. Mon père nous les montrait souvent. Parole, il en avait plein une boîte. »
Croft passa à côté d’eux, jetant par-dessus son épaule : « Allez troupiers, suffit de vous branler dans la carafe. »
Polack soupira et se mit debout. « Crois-moi, y a rien à chiquer dans ce métier. Qu’est-ce que ça lui fout, à Croft, si on se la coule un peu ?
– Ce gars il pense qu’à ses ficelles.
– Sont tous comme ça », répondit Polack. Il prononçait « zont » pour « sont ».
Minetta approuva du chef. « Attends seulement que je rencontre un de ces gars après la guerre.
– Qu’est-ce que te feras ? Tu lui paieras un verre, à Croft ?
– Tu crois qu’il me fait peur ? fit Minetta. Dis, j’ai été dans les amateurs de boxe, tes Gants d’Or, y a pas un de ces gars qui me fait peur. » Le sourire œ Polack l’agaçait.
« Le seul gars que tu pourrais rosser, c’est Roth.
– Eh, va te faire foutre, c’est pas la peine de parler avec toi.
– Je suis trop ignorant. »
Ils se chargèrent chacun d’une caisse prise à bord de l’embarcation et se mirent en route vers le dépôt d’approvisionnement. « Dieu, je peux plus supporter ça, explosa Minetta. J’y perds toute mon ambition.
– Tu parles.
– Tu penses que je suis tout juste un jean-foutre ? demanda Minetta. T’aurais dû me voir dans le civil. Je savais comment m’habiller, je m’intéressais à la vie, quand je faisais une chose j’étais toujours le meneur. Je serais un sous off maintenant si seulement je voulais me remuer pour les ficelles, faire de la lèche comme Stanley, mais ça vaut pas le coup. Faut se respecter.
– Pourquoi que tu te montes le ciboulot ? demanda Polack. Tu sais, je me faisais mes cent cinquante dollars par semaine, et j’avais ma propre bagnole. J’étais dans lu combine de Lefty Rizzo, mais ce qui s’appelle être dans la combine. Y a pas une poule au monde que j’aurais pas pu m’en voyer, modèles, actrices, les plus jolies gonzesses. Et je travaillais que vingt heures par semaine, non, attends, vingt-cinq, à peu près quatre heures par jour, de cinq à neuf, six jours par semaine, à ramasser les numéros de la loterie. Bon, est-ce que tu m’entends rouscailler maintenant ? Tout ça c’est dans les cartes, tu vois. C’est écrit. Alors, y a qu’il faut se tenir peinard et pas s’en faire. »
Polack a dans les vingt et un ans, calcula Minetta. Il se demandait si l’autre lui avait menti quant à ses gains. Ça l’embarrassait de ne jamais savoir ce qui se passait dans la tête de Polack, alors que celui-ci semblait toujours deviner ses pensées à lui. Ne sachant que répondre, il attaqua. « Y a qu’il faut se tenir peinard, hein ? T’es dans l’armée parce que tu l’as voulu peut-être ?
– Comment que tu sais si je pouvais pas m’en tirer ?
– Je sais, gouailla Minetta, parce qu’y a pas un avec de la cervelle dans la tête qui serait dans l’armée s’il pouvait faire autrement. » Il déchargea son fardeau sur un tas de caisses, reprit le chemin de l’embarcation. « Ça te coupe les bras quand t’es coincé dans l’armée. Y a rien que tu peux
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