Les Nus et les Morts
penses que c’est tout ce qu’il te faut pour passer. Tu en es au stade anal, n’est-ce pas, tu ne peux pas supporter qu’on te touche. Tu me fais prendre de telles rages, tes airs de te trouver à un million de milles, rien ne t’atteint jamais n’est-ce pas. Rien ne mérite de te toucher.
Oh ! fait la jeune fille paisiblement d’une voix enfantine et haletante, vous êtes réellement bon, il y a une telle bonté en vous, mais vous avez tort voyez-vous parce que la vraie compassion est malfaisante, quand j’étais à l’hôpital je suis tombée amoureuse pendant quelques minutes de mon docteur, puis j’ai cesse de m’en préoccuper, et quand on m’a appliqué le traitement de choc j’ai continué à penser que le contact est malfaisant et que seule la liberté vaut la peine, c’est pourquoi vous ne voulez pas de moi parce que vous êtes libre et bon.
Sa voix est ténue, bien modulée. Oh ! bien, chéri, que pouvais-je faire, c’était parfaitement absurde, tous ces sols apprentis me donnent simplement la nausée, tous per suadés bien entendu qu’ils savent faire la chose mieux que moi, et mon Dieu tu aurais dû voir quelques unes de leurs interprétations, ils se sentaient tout simplement obligés de susciter des ennuis, et ils écrémaient tout, tout, entre Eddie et moi, on aurait pu s’envoyer l’ingénu au petit déjeuner, je ne sais pas pourquoi je traîne avec toi, je ne fais que perdre mon temps.
Il y a cependant des exceptions. Femmes différentes, différentes nuits, quand il étreint une femme dont il pénètre la chair jusqu’à ce que le breuvage devienne intolérablement enivrant. Vendanges d’amour qui durent parfois des mois quand c’est la même femme, la même aventure, fier et secret savoir du jeu réciproque de leurs reins, admirables accouplements, émus et variés, lascifs ou fou gueux ou doucement caressants, d’autres fois doux et purs comme ceux des jeunes amants.
Seulement ça ne dure jamais.
Je ne peux pas dire pourquoi, fait-il un soir à un ami. C’est que chaque fois que j’ai une aventure, je sais comment elle finira. La fin, en toute chose, est pour moi dans son commencement même. Elle est contenue dans son propre mouvement.
Si tu voyais mon analyste…
Au diable les analystes. Si j’ai peur qu’on me la coupe ou quelque chose comme ça, je préfère ne pas le savoir. Ça n’est pas une cure, c’est une humiliation, un deus ex machina. Je découvre ce qui va mal, et bang ! me voilà heureux et en route pour Chicago et faisant des gosses à la douzaine et terrorisant dix mille personnes dans l’une des usines qu’il plaira à mon père de me donner. Si tu es guéri, tout ce par quoi tu es passé, tout ce que tu appris, aura été inutile.
Et si tu ne l’es pas, ton état ne fera qu’empirer.
Mais, voilà, je ne me sens pas malade. Je me sens creux… supérieur, je m’en fous, j attends et je laisse venir.
Peut-être. Il ignore lui-même la réponse, ne s’en soucie guère. Pendant des mois, à l’abri des réactions superficielles, des plaisirs et de l’ennui, sa tête demeure a peu près vide.
Quand la guerre éclate en Europe, il décide de s’enrôler dans la Canadian Air Force, mais il ne voit pas assez bien de nuit. Il découvre qu’il ne peut pas supporter de rester à New York, et il songe à quitter la ville. Parfois, de nuit, il erre à Brooklyn ou à Bronx, prend l’autobus ou le métro aérien, descend au terminus, explore des rues paisibles. Plus souvent, il fait des marches nocturnes dans les bas quartiers, savourant leurs mélancolie particulière ou observant une vieille femme assise sur son escalier de pierre, son morne regard réfléchissant soixante ou soixante-dix ans de maisons comme la sienne, de rues comme la sienne, le triste et plat écho des voix d’enfants qui rebondissent sur l’asphalte inflexible.
Cela finit par lui redonner le goût du mouvement, et grâce à un ami il devient organisateur syndical dans une ville du nord de l’Etat de New York. Il passe un mois dans une école pour organisateurs, puis un hiver comme ouvrier d’usine, enrôlant les travailleurs. Et, de nouveau la cassure. Après que la majorité des ouvriers est organisée et le syndicat reconnu par le patronat, les leaders décident de ne pas faire grève.
Hearn, tu ne comprends pas, nous ne pouvons pas nous permettre de courir à l’échec, tu es un dilettante dans es questions de travail, et ce qui te semble simple ne l’est
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