Les Nus et les Morts
en écho et le faisaient frissonner,
Cela lui paraissait aussi irréel que son propre visage quand il lui arrivait de se regarder trop longtemps dans la glace. Il tira la couverture sur ses épaules. « Ils m’auront pas demain », se rassura-t-il.
Le matin, avant la visite du médecin, il enleva son pansement et examina sa blessure. Elle était presque guérie. Les lèvres de la coupure, jointes par une chair neuve et rose, s’étaient fermées. Ils le renverraient certainement aujourd’hui. Il fit des yeux le tour de la tente. Les autres malades étaient occupés ou bien ils dormaient, et d’un brusque mouvement il rouvrit sa plaie. Elle commença à saigner. La main tremblante, il replaça le bandage, ressentant un mélange de culpabilité et de jubilation. De temps à autre, à l’abri de la couverture, il frottait sa plaie pour en activer le saignement. Il se sentait nerveux et impatient en attendant la visite du médecin. Sa cuisse était tiède et visqueuse sous le bandage. Il se tourna vers son voisin. « Ma jambe saigne, dit-il. C’est des drôles de trucs, ces blessures.
– Voui. »
Il garda le silence pendant que le médecin l’examinait. « Je vois que votre blessure s est ouverte.
– Oui, monsieur le major. »
Le médecin jeta un coup d’œil sur le bandage. « Vous n’y avez pas touché, n’est-ce pas ? demanda-t-il.
– Je pense pas, monsieur le major. Ça s’est mis à saigner tout seul. » Il m’a à l’œil, songea-t-il. « Mais ça va bien comme ça, je suis bon pour retourner à ma section, pas ? plaida-t-il.
– Attendons plutôt un jour de plus, fiston. Ça n’aurait pas dû s’ouvrir comme ça. » Il lui remit le pansement. « N’y touchez pas cette fois », dit-il.
Il passa une journée agitée, s’efforçant d’inventer un moyen pour se faire garder à l’hôpital. L’idée de regagner la section le démoralisait. Il songeait à une succession de combats éternels et à. des jours sans fin sur la route. J’ai même pas un copain à la section. On peut pas se fier à Polack. Il pensa à Brown et à Stanley qu’il haïssait, à Croft qu’il craignait. « Quelle sacrée clique, se dit-il. Et la guerre qui se prolongera à jamais. Après cette île va y avoir une autre et puis une autre… Ah ! faut s’attendre à rien de bon de cette saloperie. » Il dormit un peu, s’éveilla plus misérable encore. « J’y peux plus, se dit-il. Je suis pas chançard, parce que sinon j’aurais attrapé la vraie bonne blessure et je serais à cette heure dans un avion en route pour l’Amérique. » Cette idée lui fit broyer du noir. Il s’était une fois vanté à Polack que si jamais il entrait à l’hôpital, il ne reviendrait plus à la section. « Que j’y entre seulement, et je me débrouillerai », avait-il dit.
Il devait y avoir un moyen. Des idées fantastiques, qu’il écartait à mesure, lui traversaient la tête. Il pensa a enfoncer une baïonnette dans sa blessure, à tomber du camion qui le ramènerait à la compagnie. Il se tordait sur sa couchette, plein de pitié pour lui-même, irrité par les légers gémissements que faisait entendre un des soldats. « Ce gars il me rendra maboule s’il la ferme pas. »
L’idée lui traversa l’esprit sans qu’il l’eût formulée, et, de crainte de l’oublier, il s’assit avec excitation. « Oh ! c’est ça, c’est ça », se dit-il. La difficulté de l’entreprise lui fit peur. Est-ce que j’ai l’estomac de le faire ? se demanda-t-il. Il reposait sans mouvement, essayant de se rappeler ce qu’il avait entendu dire des soldats qui ont perdu leur raison. « Jésus, la Section Huit », se dit-il. Il se souvint d’un soldat, du temps de son instruction militaire, lequel avait éclaté en sanglots pendant un exercice de tir. On l’emmena à l’hôpital, et quelques semaines plus tard Minetta entendit dire qu’on l’avait libéré. « Oh ! Dieu », se dit-il. II se sentit heureux pendant un moment, comme s’il se voyait déjà démobilisé « Je suis aussi malin que n’importe lequel de ces gars, je me débrouillerai. Choc nerveux, voilà le filon. Choc nerveux. Je suis blessé, pas ? On s’attendrait qu’ils libèrent un gars qu’a été blessé, mais tout ce qu’ils font c’est rafistoler leur bonhomme et le renvoyer en ligne. Chair à canon, c’est tout ce qu’il leur faut. » Il se sentait outragé.
Ses pensées prirent un détour, et de nouveau il
Weitere Kostenlose Bücher