Les Nus et les Morts
le médecin. Il se crispa sous la poigne de l’infirmier, se détendit, puis recommença à rire stupidement. Il ne fit aucun mouvement sous la piqûre hypodermique. « J’y tiendrai le coup », se dit-il.
« Allez, julot, suis-moi », dit l’infirmier. Minetta se leva et le suivit à travers la clairière. Il se demandait ce qu’il lui fallait faire présentement. Rejoignant l’infirmier, il lui chuchota : « T’es une pute de japonais, mais je le dirai à personne si tu me donnes cinq balles. ».
– Allez, avance Julot », dit l’infirmier d’un ton las. Minetta le suivit d’un pas traînant. Quand ils arrivèrent
à la tente numéro sept, il s’immobilisa et recommença à hurler. « J’y entre pas ! Y a une pute de Japonais là-dedans qui va me tuer ! J’y entre pas ! »
L’infirmier lui fit une prise de lutteur et le poussa sous la tente. « Laisse-moi ! Laisse-moi ! Laisse moi ! » hurlait Minetta. Ils parvinrent à une couchette, et l’infirmier lui dit de se coucher. Il s’assit, commença à délacer ses chaussures. « Je ferai bien de me calmer pour un instant », se dit-il. Le sédatif commençait d’agir. Il se coucha sur le dos, ferma les yeux. Pendant un bref moment la pensée de ce qu’il avait fait excita une vague sensation au creux de la poitrine. Il avala à plusieurs reprises, coup sur coup. Son esprit fermentait d’orgueil et de jubilation. « Faut que je flanche pas, c’est tout ce qu’y a à faire. Ils m’évacueront dans un jour ou deux. »
Il s’endormit presque aussitôt, pour ne se réveiller que le lendemain matin. Il lui fallut plusieurs minutes pour se rappeler les événements de la veille, et de nouveau il eut peur. Il se demandait s’il ne devait pas abandonner la partie et reprendre son attitude normale, mais quand il songea à son retour à la section… « Non ! Mon Dieu, non ! Je tiendrai le coup. » Il s’assit, examina la tente. Il y avait là trois hommes, dont deux portaient des pansements qui leur enveloppaient la tête ; le troisième reposait sur son dos, sans mouvement, son œil vidé et fixe regardant la faîtière. « Il est mûr pour la Section Huit », se dit Minetta avec un frisson où se mêlait un élément de gaieté due à l’ironie de la situation. Mais, l’instant d’après, sa frayeur lui revint. C’est comme ça sans doute qu’agit un fou, il bouge pas et il dit rien. « Peut-être que j en ai fait de trop, hier. » Il prit la décision de se comporter comme l’autre. « C’est foutrement plus facile pour les cordes vocales », se dit-il.
Le médecin arriva à neuf heures, et Minetta se tint sans mouvement, à plat dos, babillant de-ci de-là un mot. Le médecin lui décocha un regard, lui refit son pansement sans mot dire, passa à la couchette suivante. Minetta en éprouva un mélange de soulagement et de contrariété. « Ils se fichent qu’on crève », se dit-il. Il ferma les yeux, se mit à réfléchir’. La matinée s’écoula paisiblement ; il se sentait de bonne humeur et confiant, et quand il repensait à la visite du médecin il estimait que l’indifférence île celui-ci était un bon signe. « Ça y est, ils insistent plus, bientôt ils vont m’évacuer dans une autre île. »
Il se mit à rêver à son retour au pays. Il pensait aux rubans qu’il porterait, il se voyait marchant dans les rues de son quartier et parlant aux gens de rencontre. Com ment que ç’a été ? Dur ? » demanderont ils. « Nan. mm, c’a pas été trop mal », dira-t il. « A d’autres, dis, c’a a dû être vachement dur. » Il secouera la tète. « je peux pas me plaindre, je me la suis coulée douce. » Il se sourit à lui même. Les gens se diront les uns aux autres : « Ce Steve Minetta est un brave gars, faut lui reconnaître ça. Pensez à tout ce qu’il a souffert, et voyez un peu comme il est modeste. »
« C’est ça l’affaire, décida-t-il ; avant tout il s’agit de rentrer chez soi. » Il se voyait faisant bringues sur bringues. Quelle sensation il ferait. Les filles seront après les hommes, et il se fera prier. Rosie, ce coup-ci, viendra comme une fleur. Et une fois de retour, il se foulera pas beaucoup ; faut être un con pour se coller des boulots qui vous crèvent la peau des fesses. Le travail a jamais profité à personne.
Au bout de plusieurs heures d’immobilité, des visions érotiques se mirent à peupler son esprit. Le soleil avait de
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