Les Nus et les Morts
résonnait dan » la nuit.
Hearn s’étira, regarda sa montre. « A quelle heure êtes-vous relevé, Stacey ? demanda-t-il.
– A deux heures du matin, mon lieutenant. »
La relève d’Hearn était à trois heures. Il soupira, étira ses bras, se cala sur sa chaise. Il parcourut rapidement la revue qu’il tenait sur ses genoux, puis, plutôt ennuyé, il la jeta sur une table. Après un instant, il prit une lettre dans la poche de sa chemise et la relut avec lenteur. Elle venait d’un ami de collège.
Ici à Washington on peut se rendre compte du dessous des choses. Les réactionnaires ont peur. Malgré leur volonté de prendre leurs désirs pour des réalités ils savent que ceci est devenu une guerre du peuple, et que les avant-coureurs de la révolution mondiale se font sentir dans l’air. Le peuple est en mouvement et ils ressortent tout le vieil outillage de la répression pour essayer de l’arrêter. Il y aura une vague de réaction après la guerre, mais elle manquera son but et la volonté fondamentale du peuple de créer une liberté populaire trouvera à s’exprimer. Tu n’as pas idée à quel point les réactionnaires ont peur. Ils livrent leur dernière bataille.
La lettre continuait sur le même ton. Hearn finit de la lire, puis haussa les épaules. Bailey avait toujours été un optimiste. Un marxiste solidement optimiste.
Seulement, tout cela était de la foutaise. Oui, il y aura une vague de réaction après la guerre, mais elle ne sera pas du tout inspirée par la peur. Que disait-il donc déjà, Cummings ? L’énergie de l’Amérique est devenue une énergie cinétique irréversible. Cummings n’avait pas peur, pas dans ce sens. Ce qui était terrifiant quand on l’entendait, c’était son calme et son inébranlable certitude. La Droite était prête pour la lutte, mais sans anxiété cette fois-ci, sans prêter une oreille angoissée aux pas inévitables de l’histoire. Cette fois-ci eux étaient les optimistes, cette fois-ci eux passaient à l’offensive. Il y avait ce que Cummings n’avait jamais dit, mais que tous ses arguments impliquaient tacitement. L’histoire était dans la serre de la Droite, et après la guerre leurs campagnes politiques gagneraient en intensité. Une grande poussée, une grande offensive, et l’histoire de ce siècle-ci était à eux, et peut-être celle du siècle suivant. La Ligue des Hommes Omnipotents.
Ça n’était pas si simple naturellement, rien ne l’est jamais, mais il y avait des hommes puissants en Amérique, debout et en marche, certains d’entre eux peut-être même conscients de leur rêve particulier. Et les outils étaient tout prêts sous la main – des hommes comme son père, ceux qui fonctionneraient d’instinct, ne sachant pas – ne se préoccupant même pas de savoir – où la route les menait. Tout cela pouvait probablement se ramener à une douzaine, à deux douzaines d’hommes, pas même en communication entre eux, pas même situés au même niveau de conscience.
Mais il y avait bien plus que cela. Vous pouviez tuer cette douzaine d’hommes et une autre douzaine viendrait les remplacer, et une autre et une autre. De toutes les vastes pressions, de tous les contre-courants de l’histoire se dégageait l’archétype de l’homme du xx* siècle. L’être particulier qui dirigera ce siècle, qui veillera à ce que < le rôle naturel… soit l’angoisse ». Les techniques ont distancé la psyché, « La majorité des hommes doivent se soumettre à la machine, et ça n’est pas une chose dont ils jouissent instinctivement. » Et dans la zone marginale, dans le hiatus, se trouvaient les singulières tensions qui enfantaient le rêve.
Hearn décocha à la lettre une petite pichenette d’aversion. « L’homme doit détruire Dieu pour l’atteindre, pour l’égaler. » Cummings de nouveau. Ou bien n’était-ce pas Cummings ? Il y avait des temps où la démarcation entre son esprit et celui du général lui devenait indistincte. Cummings aurait pu avoir dit ça. Effectivement, cette idée était de Cummings. Il replia la lettre et la remit dans sa poche.
Où est-ce que tout cela le laissait ? Oui – précisément où ? Il y eut un temps, bien des temps où tout son être eût été sollicité, plus que sollicité… par tout ce que Cummings était capable de faire. C’était bien cela. Débarrassé des trappes de son milieu naturel, des aberrantes et fallacieuses attitudes qu’il avait
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