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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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reconnaître le terrain. Plusieurs jours s’écoulèrent sans qu’il pût être question d’une ligne de front continue. De petits groupes se faufilaient dans la jungle, engageaient de courtes escarmouches contre des groupes encore moins nombreux, puis avançaient de nouveau. L’ensemble du mouvement était progressif, mais chaque unité individuelle avançait sans direction déterminée. Elles étaient comme des fourmis dans la haute herbe, qui s’épuisent à haler des miettes de pain.
    Le troisième jour les hommes avaient conquis un champ d’atterrissage japonais. Affaire sans importance – une bande de terre défrichée dans la jungle, d’un quart de mille, avec un petit hangar camouflé sous la broussaille et quelques baraques que les Japonais avaient détruites. Cet exploit fut inclus dans le communiqué du Pacifique, et les speakers de la radio annoncèrent la victoire en queue de leur programme. Les deux sections qui avaient déniché l’aéroport réduisirent au silence l’unique mitrailleuse qui défendait l’éclaircie, puis envoyèrent un message sans-fil au bataillon du Q. G. Les troupes "du général, qui se retranchaient sur des positions de défense pour la nuit, connurent pour la première fois un semblant de cohésion. Le général fit établir sa ligne de front à quelques centaines de mètres derrière le terrain d’aviation, et ce soir-là il put entendre l’artillerie japonaise qui bombardait le champ. Vers le milieu de la matinée suivante ses troupes avancèrent d’un autre demi-mille le long de la péninsule, et une fois de plus le front se scinda en de nombreuses et lentes gouttelettes de mercure.
    Il semblait impossible d’y maintenir quelque ordre. Deux compagnies démarraient au matin avec une liaison parfaitement établie entre leurs flancs, et à la tombée du jour elles bivouaquaient à un mille l’une de l’autre. La jungle leur opposait une bien plus grande résistance que les Japonais, et les hommes s’efforçaient de l’éviter chaque fois que cela leur était possible : ils se frayaient des chemins le long des talus, taillaient des pistes dans la broussaille relativement plus lâche qui entourait les îlots de cocotiers, avançaient avec plaisir à travers les rares échappées couvertes d’herbe kunaï. Mais, ces éclaircies, les Japonais les bombardaient à des heures imprévisibles, et les troupes durent finalement les éviter, progressant à l’aveuglette par les incertains passages qu’offraient les endroits les moins touffus de la forêt vierge.
    Au cours de la première semaine de la campagne la jungle fut de loin la pire ennemie du général. La division avait été avertie que les forêts d’Anopopéi représentaient un obstacle formidable, mais cette mise en garde n’allégea en rien la tâche des troupes. Dans les parties les plus serrées de la brousse, un homme mettait une heure pour avancer de quelques dizaines de mètres. Au cœur de la forêt, des arbres hauts de cent mètres étendaient leurs basses ramures dans un rayon de deux cents pieds. Là-dessous poussaient d’autres arbres, dont la végétation massive dérobait à l’œil le tronc du géant, et dans le peu d’espace qui restait, lianes et fougères, bananiers sauvages et palmiers nains, fleurs et arbustes, se pressaient dans un fouillis chaotique, se haussaient vers le peu de lumière qui y filtrait, appelant l’air et la nourriture comme des serpents au fond d’une fosse. Il faisait toujours sombre dans les profondeurs de la jungle, -comme sous un ciel d’orage, et l’air n’y bougeait jamais. Tout y proliférait, tout y était chaud et moite comme si la forêt eût été un immense amas de chiffons graisseux qui s’échauffent et fermentent sous les voûtes d’un énorme dépôt. Dans cette température de serre les feuilles se donnaient des dimensions prodigieuses, et là-dessous, dans la fournaise et la déliquescence, rien n’était silencieux. Les oiseaux pépiaient, les petits animaux et parfois un serpent bruissaient et glapissaient – le tout sur le fond d’un calme presque palpable où l’on pouvait entendre la végétation qui croissait dans un borborygme de ravissement.
    Nulle armée n’aurait pu y vivre ou s’y frayer un passage. Les hommes contournaient l’épais de la jungle, s’ouvraient des pistes dans les sous-bois, traversaient des îlots de cocotiers – et même là leur vision n’excédait jamais quinze à trente mètres. Aussi, lors des

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