Les Nus et les Morts
et se tortille dans un cercle dont il est incapable de briser les limites. Leur vie sociale prend bien plus de place dans leur existence.
Elle s’occupe à faire marcher sa maison, à tenir la délicate balance des doit-et-avoir de leurs obligations sociales. Il leur faut chaque fois deux heures pour dresser la liste des invités pour leurs réceptions mensuelles.
Une fois ils passent toute une semaine à se demander s’ils peuvent inviter le général, discutant les arguments compliqués du pour et du contre. Ils concluent que cela serait de mauvais goût, que cela pourrait leur nuire alors même que le général viendrait, mais quelques jours plus tard le capitaine Cummings reconsidéré la question, se réveille à l’aube, et connaît que c’est un risque qu’il lui faut prendre.
Ils conçoivent leur plan très soigneusement, choisissent une fin de semaine où le général n’a pas d’obligations et où il semble bien que rien d’inattendu ne viendra l’accaparer au dernier moment. Grâce à l’ordonnance du général, Margaret apprend quels sont ses plats préférés ; au cours d’une soirée dansante elle bavarde avec la femme du général pendant une bonne vingtaine de minutes, découvre qu’une connaissance de son père n’est pas inconnue du général.
Ils font partir les invitations et le général accepte. Semaine qui précède l’événement, toute en nerf, puis l’état de tension pendant la réception. Le général arrive, prend position à la table du buffet froid, picore non sans zèle la dinde fumée pour laquelle Margaret a fait venir des crevettes de Boston.
Tout se révèle finalement un succès, et le général, mis de bonne humeur par son huitième scotch, par les meubles rembourrés garnis de houppes (il s’était attendu à de l’érable), par la douce morsure des sauces doublée de liqueurs, le général adresse à Cummings un brumeux sourire. En disant au revoir il tapote Cummings sur l’épaule et pince la joue de Margaret. La tension s’évanouit, les officiers cadets et leurs épouses se mettent à chanter. Mais tout le monde est trop exténué et la soirée finit tôt.
Cette nuit-là, quand ils se félicitent l’un l’autre, Cummings est content.
Mais Margaret lui gâche sa satisfaction ; elle a acquis le don de gâcher les choses. Tu sais, Edward, je me demande vraiment quel est l’intérêt de tout ça, tu ne peux pas espérer brûler les étapes, et le vieux pet (elle a pris l’habitude de jurer modérément) sera mort quand la question se posera de te pistonner pour tes étoiles de général.
Il faut commencer de soigner sa réputation tôt le matin, dit-il hâtivement. Il a accepté toutes ces mœurs, il s’efforce de s’y soumettre dévotieusement, mais il n’aime pas qu’on les mette en doute.
Qh ! quelle chose parfaitement vague à dire. Tu sais, j’ai bien le sentiment que nous avons fait une bêtise de l’avoir invité. Ça aurait été bien plus gai sans lui.
Gai ? (Cela l’atteint au plus profond de son être, le laisse de fait tremblant de colère.) Il y a des choses plus importantes que la gaieté. Il se sent comme s’il avait refermé une porte sur lui.
Tu es en danger de devenir un raseur.
Ça suffit, crie-t-il presque, et, devant sa rage, elle bat en retraite. Mais la chose est entre eux, formulée de nouveau.
Je ne sais pas ce qui te prend, grommela-t-il.
D’autres mouvements encore, d’autres directions le sollicitent. Pendant un temps il fréquente les beuveries au club des officiers, joue au poker, se laisse aller à quelques aventures galantes. Mais, simple réédition de ses rapports avec Margaret, elles ne lui procurent qu’humiliation en fin de compte, et il se replie sur lui-même, se consacre dans les deux années qui suivent au commandement de sa compagnie.
Il y fait preuve de talent. Il embrasse ses problèmes sous tous leurs aspects, pense, de nuit, à la meilleure façon de procéder avec ses hommes, au moyen le plus effectif de les commander ; de jour, il passe presque tout son temps avec sa compagnie, surveillant les corvées, faisant inspections sur inspections. Les compagnies qu’il commande successivement se signalent par leur tenue ; les quartiers de ses soldats brillent par leur propreté.
Les samedis matin chaque section fournit une équipe pour arracher les mauvaises herbes autour des baraques.
Il fait essayer nombre d’encaustiques pour cuivre, choisit le meilleur, et fait afficher un
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