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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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leur serait arrivée aux cuisses seulement s’ils avaient pu avancer debout, mais tous étaient trempés des pieds à la tête quand ils eurent atteint l’autre rive. Ils se rassemblèrent dans une petite crique au-dessus du rapide et s’accroupirent dans l’eau, pantelants et sans ressort.
    « Jésus », faisait quelqu’un de temps à autre. La force du rapide avait été terrible. Tout en s’agrippant à la liane, chacun d’eux, secrètement, s’était attendu à périr.
    Après un repos de dix minutes ils reprirent leur marche. Il n’y eut plus de rapides pendant quelque temps, mais la rivière coulait le long d’une chaîne de récifs, et tous les dix ou quinze mètres il leur fallait escalader un banc qui leur arrivait à mi-corps, s’avancer en tâtonnant du pied la pierre noyée sous quelques pouces d’eau, puis se hisser à quatre pattes sur le banc suivant. Leurs fusil  étaient mouillés, et leurs grenades, piquées par le manche dans leurs ceinturons, n’arrêtaient pas de glisser à l’eau. Et, d’une seconde à l’autre, celui-ci ou celui-là lâchait une bordée de jurons.
    La rivière se rétrécissait. Dans certains endroits il n’y avait que cinq mètres d’une berge à l’autre, et là-dessus la jungle poussait si dense qu’elle leur éraflait le visage. Ils continuèrent de la sorte pendant un quart de mille, se recroquevillant sous la végétation et rampant sur les récifs. La plupart étaient trop épuisés pour lever la jambe. Ils se couchaient sur le rebord du banc qu’il leur fallait escalader, s’y hissaient à la force du poignet, la jambe traînante, avec des mouvements de saumon qui ahane contre le courant au temps de frai. Des affluents venaient rejoindre la rivière ; tous les cent mètres un ruisselet ou quelque filet d’eau s’égouttait de la jungle, et Croft s’arrêtait alors, examinait le terrain un instant, puis repartait de nouveau. Après son solo à travers le rapide, Hearn n’était pas fâché de laisser Croft reprendre pour un temps la tête de la patrouille.. N’ayant pas encore réussi à rattraper son souffle, il suivait péniblement le long de la file.
    La rivière vint à se diviser en deux, et de nouveau Croft s’arrêta pour examiner les lieux. Dans cette jungle qui interceptait le soleil, seul lui et Martinez savaient dans quelle direction la colonne avait voyagé. Croft avait noté que les plus élancés parmi les arbres s’inclinaient vers le nord-ouest ; il s’en était assuré à l’aide de sa boussole, imputant leur torsion aux effets d’un ouragan qui les avait dû frapper quand ils étaient encore jeunes. En les prenant pour point de repère, il put déterminer la direction de leur marche le long du cours d’eau. Comme ils avaient fait plus de trois milles et que l’orientation générale de la rivière pointait vers les collines, il supposait qu’ils avaient à peu près atteint l’orée de la jungle. Mais rien ne permettait de décider quel bras de la bifurcation il leur fallait suivre ; il était probable que l’un et l’autre serpentaient pendant des milles au cœur de la jungle, parallèlement aux collines. Il en discuta-avec Martinez, et celui-ci, ayant avisé un grand arbre en bordure du ruisseau, se mit en devoir d’y grimper.
    Il se hissa dans l’arbre, s’agrippant aux lianes qui entouraient le tronc, prenant pied sur les loupes. Arrivé à la plus haute des enfourchures il rampa avec précaution vers l’extrémité d’une grosse branche, se redressa, et surveilla le terrain. La jungle, sous lui, s’étalait comme un tapis de velours au poil ras et vert. Il ne voyait pas la
    rivière, mais à moins d’un demi-mille en avant la jungle finissait tout d’une pièce, faisant place à une suite de collines jaunes et nues qui s’élevaient vers les contreforts lointains du Mont Anaka. Il consulta sa boussole pour reconnaître sa direction. Il était heureux de se livrer à une tâche où il se savait compétent.
    Il redescendit, fit son rapport à Croft et au lieutenant. « Nous suivre celui-ci, dit-il, désignant un des affluents.
     Peut-être deux trois cents mètres, puis tailler piste. Pas rivière dans colline là-bas. » Il pointait dans la direction du terrain découvert qu’il avait aperçu.
    « C’est bien, Mange-Japonais », dit Croft. Il était content. L’information correspondait à ses calculs.
    La section se remit en marche. L’affluent que Martinez avait choisi était très

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