Les Nus et les Morts
quelque chose d’être un sergent. t> Cette affirmation lui faisait toujours plaisir. « Ça montre que t’as un quelque chose de spécial. Tu sais, je connais mes responsabilités. C’est pas moi qui me dégonflera. Y a pas à chier, je sais foutre bien que je suis forcé de tenir le coup, parce qu’il faut ce qu’il faut. » Il se sentit un peu sentimental. « Ça montre qu’ils te faisaient confiance s’ils t’ont nommé sergent, et c’est pas moi qui laissera personne dans la panade, je suis pas un gars à ça. Y a rien de plus dégueulasse au monde, voilà ce que je pense.
– Faut se cramponner, reconnut Martinez.
– C’est ça. Quel espèce de type que je serais à prendre tout cet argent du gouvernement, pour me débiner quand ça chauffe ? Nan, c’est vrai Mange-Japonais, on vient d’un bon coin du pays nous autres, et ça me ferait mal au bide de rentrer "chez nous et de montrer ma bouille aux gens si j’avais pas de quoi être fier. Personnellement, comme je suis du Kansas, j’aime mieux mon pays que le Texas, mais nom de Dieu on vient quand même des deux meilleurs Etats dans le pays. T’as jamais besoin d’avoir honte, Martinez, quand tu dis aux gens que t’es Texien.
– Oui. » Ce nom lui réchauffait le cœur. Il aimait à se considérer comme Texien, mais il n’avait jamais osé se parer de ce titre. Quelque part profondément dans son esprit un point d’angoisse s’était coagulé – le souvenir de tous ces hommes blancs de grande taille, à la voix lente et au regard froid. Il avait peur de ce qu’il aurait vu dans leurs yeux s’il avait dit : « Martinez est Texien. » Son plaisir se glaça, et il se sentit mal à son aise. Moi meilleur sergent que Brown, se réconforta-t-il. Mais il n’en fut guère soulagé. Brown possédait une sorte d’assurance, entièrement inconnue de Martinez ; en lui quelque chose battait toujours en retraite quand il lui arrivait de parler avec des hommes de cette espèce. Il avait la malice, le mépris, et les angoisses du domestique qui se sait supérieur à son maître.
« Bon coin du pays », acquiesça-t-il. Il avait le cafard, et son envie de parler à Brown lui était passée. Il attendit une petite minute, grommela un mot ou deux, puis s’en fut retrouver Croft.
Brown changea de côté et regarda autour de lui. Pendant tout le long de la conversation Polack était resté à quelques pieds de là, étalé sur le rocher, les yeux clos. Brown le poussa légèrement du coude. « Tu dors, Polack ?
– Hein ? » Il s’assit en bâillant. « Oui, je crois que je me suis endormi. » De fait, parfaitement éveillé, il avait suivi la conversation. Il éprouvait une subtile satisfaction à écouter aux portes ; encore qu’il ne s’attendît que rarement à en tirer quelque profit immédiat, il trouvait la chose fort amusante. « C’est la façon d’avoir barre sur un type », avait-il dit un jour à Minetta. Il bâilla de nouveau. « Nix, dit-il, j’ai piqué un petit somme. Ça y est, on remet ça ?
– Oui, bientôt », dit Brown. Il avait pressenti le mépris de Martinez ; cela l’avait démonté, et il avait besoin de regagner sa contenance. Il s’allongea à côté de Polack et lui offrit une cigarette.
« Naaah, j’économise mon souffle, dit Polack. On a un Dout de chemin à faire.
– Ça c’est pas un mensonge, approuva Brown. Tu sais, j’ai tout fait pour éviter à mon escouade d’aller trop souvent en patrouille, mais peut-être que ç’a pas été une si bonne idée. Vous êtes plus en forme. » Il n’avait pas conscience d’exagérer. Dans ce moment, il croyait ce qu’il avançait, et il se félicitait d’avoir si bien protégé son escouade. –
« T’as bien fait de nous tenir sur le carreau, on s’en souviendra », dit Polack ; pensant « quel pot de merde ! » Brown le divertissait. « Y a toujours de ces types, pensait il, qui remuent la queue pour décrocher une ficelle, et quand ils l’ont ils commencent de se faire de la bile pour savoir si tu penses qu’ils sont de braves potes. » l’prit son long et pointu menton, dans la main, rejeta un toupet de ses cheveux clairs et raides. « C’est vrai, dit-il. Tu penses que les gars de ton escouade apprécient pas ce que t’as fait pour nous, mais on sait que t’es régulier. »
Malgré ses doutes quant à la sincérité de Polack, Brown fut flatté. « Je te dirai une chose, je serai franc avec toi,
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