Les Nus et les Morts
fit-il. Y a deux mois que t’es dans la section, et j’ai pas arrêté de te regarder faire. T’es pas bête du tout, Polack, et te sais quand il faut la fermer.
– Je sais me tenir, dit Polack avec un haussement d’épaules.
– Prends mou boulot par exemple. Faut que je fais de mon mieux pour vous rendre heureux, vous autres. Vous le savez peut-être pas mais c’est même écrit dans mon manuel de sergent, comme je te le dis, noir sur blanc. Et je me ligure que si je m’occupe de mes hommes, ils s’occuperont de moi.
– Sûr qu’on est tous avec toi. » De la manière dont Polack voyait les choses, on était un sacré couillon si on ne disait pas à son patron ce qu’il voulait que vous lui disiez.
Brown cherchait ses mots. « Y a des tas de façons pour un sergent d’être un saligaud, mais moi je préfère traiter mes hommes comme il faut. »
Que foutre me cherche-t-il ? pensait Polack. « C’est la seule vraie façon de faire, dit-il.
– Oui, mais beaucoup de sous-offs le savent pas. Les responsabilités les foutent par terre. Tu sais pas quel casse-tête c’est. C’est pas à dire que je refuse ma part des responsabilités, parce que la vérité vraie c’est qu’il faut bûcher si qu’on veut aller de l’avant. Ça n’existe pas, des raccourcis.
– Naan, dit Polack en se grattant.
– Prends Stanley. Il est trop malin, mais il se fera mal quand même en fin de compte. Tu sais, il a monté un joli coup dans un garage où il a travaillé. » Il lui raconta l’histoire. « C’est plutôt malin, commenta-t-il, ayant fini de raconter. Mais c’est comme ça qu’on se fout dans le pétrin. Ce qu’il faut c’est tenir bon et prendre le mal comme il vient.
– Sûr ». dit Polack. Il songeait qu’il avait sous-estimé Stanley. C’était une bonne chose à savoir sur son compte. Stanley avait plus de couilles au ventre que Brown. « Jésus, pensait-il, ce Brown finira par faire marcher une pompe à essence et il croira qu’il est un grand brasseur d’affaires. Stanley, lui, avait des idées. On fait son petit coup, et si on sait tenir sa langue entre ses dents on se tire toujours de la mélasse.
– Allons-y les gars », dit le lieutenant.
Polack se leva en grimaçant. « Si ce lieutenant avait pas que du fumier dans la tête, pensa-t-il, il nous ferait revenir sur la plage et nous laisserait frire des guimauves jusqu’au retour du canot. » Mais il se contenta de dire : « C’est ça, j’ai besoin d’un petit exercice. » Brown rit.
Ils suivirent la rivière pendant quelques centaines de mètres. Elle coulait, peu profonde, à travers un terrain peu accidenté. Tout en marchant, Brown et Polack devisaient paisiblement. « Quand j’étais gosse j’avais des tas d’idées, disait Brown. Tu sais, mariage, enfants, et tout le bataclan, mais on comprend un peu mieux avec l’âge, on se rend compte qu’y a pas beaucoup de femmes à qui on peut faire confiance. »
« C’est des clients comme Brown, pensait Polack, qui se laissent mettre un carcan au cou par les gonzesses. Tout ce qu’elles ont à faire c’est dire oui t’as raison mon pote, et il croit que c’est arrivé.
– – Non, disait Brown, on apprend avec l’Age. Tu sais, y a pas beaucoup de choses que tu peux y faire confiance. » Il éprouvait un amer plaisir à s’entendre parler. « Y a que le pèze qui compte, je te le dis. C’est quand t’es dans le trafic que tu vois la belle vie qu’ils se paient, les grosses huiles. Je me rappelle quelques-unes de ces bombances dans les hôtels. Dis, les poules qu’on s’envoie, et le reste.
– Tu parles si c’est du nan-nan », accorda Polack. Il se souvenait d’une fête organisée par son patron, Lefty Rizzo. Il ferma les yeux pour un instant, se laissant envahir par un filet de passion. Cette blonde, elle savait s’y prendre.
« Si jamais je me tire de l’armée, dit Brown, je me lance du côté où c’est qu’y a du pèze. J’en ai marre d’être dans la débine.
– Le pèze, y a encore personne qu’a inventé mieux que ça, »
Traînaillant du pied dans l’eau, Brown décrocha un coup d’œil à Polack. « Ce Polack n’est pas un mauvais type, pensa-t-il. Un petit gars maigrelet qu’a jamais reçu d’instruction. Y a bien à parier qu’il arrivera à rien de bon. » « Qu’est-ce que tu comptes faire après la guerre, Polack ? »
Polack perçut le ton condescendant de la question. « Je me
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