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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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dans quatre jours. Si le canot arrive avant et si Wilson est… est encore en vie, vous repartirez tout de suite et vous leur ferez envoyer un autre canot pour nous reprendre.
    – Très bien, mon lieutenant. »
    Brown assembla ses brancardiers, fit placer Wilson sur la civière, et ils se mirent en route.
    Il n’y eut plus que cinq hommes dans le creux : le lieutenant, Croft, Red, Roth et Martinez. Ils s’assirent, chacun de son côté, sur le tertre qui surplombait le creux, fouillant du regard les vallées et les crêtes. Ils voyaient les brancardiers s’avancer dans les collines, en direction du sud, les deux équipes se remplaçant l’une l’autre toutes les quelques minutes. Au bout d’une demi-heure ils furent hors de vue, et rien ne resta hormis les collines, les falaises muettes, et le ciel de l’après-midi que couvrait déjà l’éclat doré du couchant. A l’ouest, à un mille de là, des Japonais campaient dans le col, et en face, très haut, invisible, pointait le pic du mont Anaka. Chacun d’eux broyait du noir, tout seul avec ses pensées.
    A la tombée du jour Brown, Stanley, Ridges et Goldstein furent laissés seuls avec Wilson. L’équipe auxiliaire avait pris le chemin du retour une heure plus tôt, et Brown, après avoir progressé d’un autre demi-mille, décida de faire halte pour la nuit. Ils s’installèrent dans un minuscule îlot d’arbres situé tout juste au-dessous de la jonction de deux petites collines et, ayant étalé leurs couvertures autour de Wilson, ils bavardaient d’une voix assoupie. L’obscurité arriva et, entre les arbres, il fit très noir. Agréablement fatigués, ils avaient plaisir à se rouler dans leurs couvertures.
    Une fraîche brise nocturne bruissait dans le feuillage des arbres. Cela faisait songer à la pluie, et les hommes rêvassaient paresseusement à des nuits d’été quand, assis sous leur porche, contents d’être à couvert, ils regardaient les nuages s’amasser dans le ciel. De longues coulées de souvenirs leur revenaient, vagues et tristes, – journées d’été, musique de danse le dimanche soir, air profond, odeur de feuilles. Cela les apaisait, les radoucissait. Ils songeaient à des choses oubliées depuis des mois, à l’excitation de conduire une auto sur un chemin campagnard, à la trouée d’or que font les phares dans les feuilles, à la tendresse et à la chaleur de l’amour par une nuit sans souffle. Et il s’emmitouflaient plus étroitement dans leurs couvertures.
    Wilson reprenait ses sens. Il flottait d’un accès de douleur à un autre, grognant et bafouillant inintelligiblement. Son ventre le faisait terriblement souffrir, et il faisait de faibles efforts pour ramener ses jambes sur sa poitrine. C’était comme si quelqu’un lui avait lié les chevilles, et il se débattit si bien qu’il revint tout à fait à lui. Sa face baignait dans la sueur. « Laisse les, laisse-les, nom de Dieu de fils de pute, laisse mes jambes tranquilles. »
    Il jura à très haute voix, arrachant les hommes à leur rêverie. Brown se pencha sur lui, lui barbouilla les lèvres avec un coin de son mouchoir humecté d’eau. « Calme-toi, Wilson, dit-il doucement. Faut que tu restes tranquille, petit vieux, -ou tu vas ameuter les Japonais.
    – -Laisse-les, nom de Dieu de nom de Dieu ! » beugla Wilson. Ses cris l’exténuèrent, et il retomba en silence sur sa civière. Il se rendait vaguement compte qu’il saignait, mais l’instant d’après il ne sut plus s’il nageait ou s’il avait mouillé son pantalon. « J’y ai fait pipi », marmonna-t-il, s’attendant à recevoir une claque. « Woodrow, Woodrow, t’es un petit pourceau », faisait une voix de femme. Il pouffa, se protégeant contre la claque. « Aou, mamma, je voulais pas le faire », hurla-t-il, plaidant, se triturant sur la civière comme pour éviter une taloche.
    « Wilson, faut que tu restes tranquille, dit Brown tout en lui massant les tempes. Repose-toi, vieux, on va s’occuper de toi nous autres.
    – – Oui… oui… » Un peu de sang remonta sur ses lèvres et il demeura sans bouger, sentant le caillot sécher sur son menton. « Il pleut ? demanda-t-il.
    – Nan, Ecoute, vieux, faut que te restes tranquille à cause des Japonais.
    – Euh-heuh. » Forçant sa stupeur, les mots de Brown l’emplirent de crainte. De nouveau il s’abîmait dans l’herbe kunaï où les Japonais étaient sur le point de le découvrir, et il se mit

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