Les Nus et les Morts
sa couverture. « Pourquoi faut-il que ça commence maintenant ? » se demanda-t-il. Pendant les deux premiers jours ses selles furent dures et lourdes, mais rien n’était pire que ceci. « C’est la réaction nerveuse à cause de l’oiseau, se dit-il ; la diarrhée est causée aussi bien par les nerfs « C’est quand la merde se met à gicler qu’il faut que tu le serres… » Eh bien, cet après-midi, il l’avait serré sans même y penser.
Mais, en repensant à l’escarmouche à l’entrée du col, toute son angoisse lui revint. Il s’était tassé derrière le rempart, et même quand Croft leur eut hurlé de faire feu il se garda de bouger. Il espérait que, trop occupé, Croft ne s’en était pas aperçu. C’est du coup qu’il en aurait après moi.
Et Wilson. Roth pensa à son visage contre le tissu humide de la toile imperméable. Il n’avait pas songé à Wilson jusqu’à cet instant ; alors même que les autres ramenaient le blessé, qu’ils fabriquaient le brancard, lui avait joué avec l’oiseau. Il avait entrevu Wilson mais il s’était refusé de le regarder, et ce n’est qu’à présent qu’il lui apparaissait en toute clarté. Il revoyait son visage blanc et le sang qui tachait son uniforme. C’était horrible. Il eut mal au cœur au souvenir de ce sang tellement rouge. « Je croyais que c’est plus sombre… artériel… veineux… Oh ! et puis qu’est-ce que ça fait ? »
Wilson a toujours été si vivant, et pas méchant garçon. Il était très amical. C’était impossible. Un seul moment, puis… Si grièvement blessé ; il avait l’air mort quand ils l’ont ramené. « C’est difficile à concevoir, pensait-il, frémissant malgré lui. Et si la balle m’avait frappé moi ? » Il voyait le sang s’écouler en miroitant d’un grand trou dans son corps. Ooh, la blessure était comme une bouche, elle était horrible à voir. Pour ajouter à sa misère son estomac se mit à bouillir. Couché sur son ventre, il hoquetait doucement.
Oh ! c’était abominable, il fallait s’arrêter d’y penser.
Il regarda l’homme couché à côté de lui. Il faisait presque entièrement noir, et c’est à peine s’il distinguait ses traits.
« Red ? chuchota-t-il.
– Oui ? »
Il se retint de dire « tu ne dors pas ? », se souleva sur son coude. « Est-ce que tu as envie de parler ? demanda-t-il.
– Je m’en fous. De toute façon je peux pas dormir.
– C’est le surmenage. Nous avancions trop vite. »
Red cracha. « Si t’as envie de rouscailler, adresse-toi à Croft.
– Non, je crois que tu ne m’as pas compris. » Il se tut un instant, puis, incapable de se contenir plus longtemps : « C’est terrible, ce qui est arrivé à Wilson. »
Red tressaillit. Il n’arrêtait pas d’y songer depuis qu’il s’était roulé dans sa couverture. « Aaah, on tue pas comme ça ce vieux fils de garce de Wilson.
– Tu crois ? dit Roth, soulagé. Il était tout couvert de sang.
– Que foutre veux-tu que c’est – du lait ? » Roth l’irritait ; n’importe qui l’aurait irrité cette nuit. Wilson était un des anciens de la section. « Pourquoi qu’il faut que c’est lui ? » pensait-il. Les vieilles angoisses, les angoisses essentielles, s’emparaient de lui. Il aimait bien Wilson ; Wilson était peut-être son meilleur ami dans la section, mais ce n’était pas ce qui comptait ; tout attachement lui répugnait, dont la perte lui eût été pénible. Mais Wilson était de la section depuis aussi longtemps que lui-même. C’eût
Weitere Kostenlose Bücher