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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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été différent avec un des nouveaux – de même qu’il lui importait moins si un homme d’une autre section était tué. Ça ne vous affectait pas, ça n’engageait pas votre sécurité. Wilson parti, son propre tour n’allait guère tarder. « Ecoute, dit-il à Roth, ce gros fils de garce fallait bien qu’il attrape sa balle tôt ou tard. Y avait foutre pas moyen de le manquer.
    – Mais c’est arrivé si soudainement.
    – Quand ça sera ton tour je t’enverrai un télégramme, gouailla Red.
    – Tu ne devrais pas dire ça, pas même en plaisantant.
    – Aaaah », dit Red, tressaillant malgré lui. La lune montait dans le ciel, badigeonnant d’argent les arêtes des falaises. Couché sur son dos, il voyait les grands dévers de la montagne s’élever vers le pic. Tout paraissait sens dessus dessous en ce moment ; il était même prêt à croire que sa sortie pouvait porter malchance à Roth. « Y pense plus, dit-il avec moins de rudesse.
    – Oh ! ça ne fait rien, il n’y a pas d’offense. Je comprends ce qui te travaille. Même moi, je ne peux pas m’empêcher d’y penser. C’est incroyable. Là un homme se porte parfaitement bien, et le moment d’après… Ça me dépasse.
    – Ça te fait rien de parler de quelque chose d’autre ?
    – – Je m’excuse », dit Roth. Son ébahissement, son horreur, ne s’étaient pas encore apaisés en lui. Il était si facile de se faire tuer ; il n’arrivait pas à se débarrasser de son étonnement. Il se retourna pour dégager son estomac, puis aspira profondément. « Oh ! je suis claqué.
    – Qui l’est pas ?
    – Comment fait-il, Croft, pour tenir le coup ?
    – Il aime ça, le fils de pute. »
    Roth se fit tout petit en pensant à Croft. L’épisode avec l’oiseau lui revint à l’esprit. « Crois-tu que Croft va m’en vouloir ? bégaya-t-il.
    – A cause de l’oiseau ? Je sais pas, Roth. Te feras mieux de pas gâcher ton temps en essayant de comprendre ce type-là.
    – Je voulais te dire, Red, que… » Il se tut. Sa fatigue, son affaiblissement dû à la diarrhée, ses maux et ses peines, la terreur que lui valait l’état de Wilson, s’abattirent sur lui tout d’un coup. Que plusieurs hommes – que l’homme couché à côté de lui – fussent venus à son aide quand Croft eut tué l’oiseau, l’emplissait de pitié pour lui-même et de gratitude et de chaleur. « Je te suis très reconnaissant pour ce que tu as fait aujourd’hui à propos de l’oiseau, dit il d’une voix cassée.
    – Aaah, y a pas de quoi.
    – – Non, je… je voulais te dire que ça m’a touché. » A sa grande surprise, il se mit à pleurer,
    « Jésus-Christ », dit Red. Les larmes de Roth l’émurent pour un instant, et il se trouva presque sur le point d’allonger son bras et de lui tapoter l’épaule. Mais il réprima son mouvement. Roth était comme ces chiens bâtards aux côtes efflanquées qui hantent les dépôts d’ordures ou les arrières des gargotes à l’heure où l’on vide les rinçures. Si jamais on leur donnait un croûton ou une tape sur la tête, ils vous suivaient pendant des jours, leurs yeux moites de gratitude.
    Il voulait témoigner sa sympathie à Roth, mais, s’il le faisait, Roth ne le quitterait plus d’une semelle, l’accablerait de ses confidences, y mettrait du sentiment. Il se collerait au premier venu qui lui témoignerait de l’amitié. Red ne pouvait pas en prendre le risque ; Roth était destiné à ramasser sa balle avant longtemps.
    Et, de plus, il n’en voulait pas. Il y avait quelque chose de désagréable, de malpropre, dans l’émotion de Roth. Red se mettait toujours en boule devant un étalage d’émotions. « Pour l’amour de Dieu, ça suffit comme ça, aboya-t-il. Je me fous pas mal de toi et de ton oiseau. »
    Roth avala ses larmes comme si on l’avait giflé. Tout en pleurant il s’était attendu pendant un instant au chaud toucher de la main maternelle. C’était parti maintenant ; tout était parti. Il était tout seul. Il en éprouva une amère satisfaction, comme si cette rebuffade lui avait prouvé qu’il venait enfin de toucher le dernier degré de l’humiliation. Les assises de pierre de son désespoir étaient enfin de pierre. Le sourire désenchanté qui monta sur ses lèvres échappait à Red. « Oublions ce que j’ai dit, Red », fit-il, lui tournant le dos, regardant à travers ses larmes les arêtes froides de la montagne : Il eut

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