Les Nus et les Morts
défense nationale, et il croira chaque mot qu’il dira. « Est-ce que nos soldats doivent mourir en vain ? » Il se souvenait d’un argument avec Toglio au sujet d’une coupure de journal, un éditorial, qu’un des soldats avait reçu de sa mère. « Est-ce que nos poilus sont morts en vain ? »
Il renifla. Qui donc ignorait la réponse ? Bien sûr qu’ils sont morts en vain, tout troufion le savait. La guerre n’est qu’un tas de merde pour ceux qui sont au feu.
« Red, t’es trop cynique, lui avait dit Toglio.
– Oui, faire la guerre pour arranger les choses c’est à peu près comme d’aller au bordel pour se débarrasser de sa vérole. »
Il regarda la lune. Peut-être ça rimait à quelque chose. Il ne savait pas ; il n’y avait pas moyen de savoir, et aucun d’eux n’en saurait jamais rien. Àaah, à quoi bon se casser les méninges, c’est dans le bain, et puis d’abord qui c’est qui s’en fait.
« De toute façon je vivrai pas assez longtemps pour savoir », pensa-t-il.
Hearn lui non plus ne pouvait pas dormir. Il était extrêmement agité, et il sentait une bizarre, une fébrile fatigue dans ses jambes. Pendant presque toute une heure il continua à se tourner et à se retourner sous sa couverture, regardant la montagne, la lune qui la surplombait, les collines, le sol au niveau de ses yeux. Depuis l’embuscade il était en proie à un sentiment indéfinissable, proche de l’angoisse, qui l’épuisait. Il lui était presque pénible de rester tranquille. Il se leva, traversa le creux. L’homme de garde, sur le tertre, ajusta son fusil. Hearn siffla doucement. « Qui est-ce – Minetta ? Ici le lieutenant. »
Il grimpa la pente et s’assit à côté de Minetta. Devant eux, sous la lune,, l’herbe dans la vallée oscillait comme une vague d’argent et les collines semblaient de pierre.
« Qu’est-ce qu’y a, mon lieutenant ? demanda Minetta.
– Rien, je me dégourdis les jambes. » Ils parlaient en chuchotant.
« Jésus, quelle vie de chien d’être de garde après cette embuscade.
– Oui, dit Hearn, massant ses jambes, essayant de les calmer.
– Qu’est-ce qu’on fait demain, mon lieutenant ? »
Oui, que feraient-ils ? C’est ce qu’il avait à résoudre.
« Quelle est votre idée, Minetta ?
– Je pense qu’on devrait faire demi-tour et rentrer. Ce foutu col est fermé, pas ? » Encore qu’assourdie, la voix de Minetta était outragée, comme s’il avait longuement réfléchi au problème.
Hearn haussa les épaules. « Je ne sais pas, peut-être nous ferons demi-tour. » Il resta à côté de Minetta pendant quelques minutes, puis il redescendit dans le creux et se glissa sous sa couverture. C’était aussi simple que ça. Minetta l’avait dit. Pourquoi ne rentreraient-ils pas, puisque aussi bien le col était fermé ?
Parfaitement, pourquoi pas ?
La réponse était bien simple. Il ne voulait pas faire demi-tour et mettre fin à la patrouille. Parce que… parce que… Ses motifs, cette fois-ci, promettaient d’être bien misérables. Il cala ses mains sous sa tête et regarda le ciel.
La patrouille n’avait pas plus de chances de durer qu’une boule de neige aux enfers. Même si les Japonais avaient abandonné le col, ils n’ignoraient plus leur présence, leur mission. Si jamais ils se faufilaient sur les arrières des Japonais, il leur serait presque impossible de passer inaperçus. Vus de près, cette patrouille n’eut jamais a moindre chance de réussite. Cette fois-ci Cummings s’était gouré du tout au tout.
Et il ne voulait pas rentrer parce que cela signifiait se présenter devant Cummings les mains vides, avec des excuses à la clef. Une réédition de l’affaire des approvisionnements sur le bateau Liberty. Kerrigan et Croft. Voilà ce qui expliquait son attitude pendant les deux premières journées de la patrouille. Une liaison amoureuse avec la section – mais c’était ridicule. Il n’avait voulu gagner leurs bonnes grâces que parce que, cela aurait augmenté ses chances de réussite. La vérité était que s’il devait se couler, il se fichait pas mal d’eux. A travers la fatigue, l’effort, la petite guerre avec Croft, son motif réel était de reprendre à Cummings ce que Cummings lui avait pris.
Etait-ce une revanche ? C’était plus sale que cela. Car, au fond, il ne s’agissait pas de revanche mais de justification. Il voulait que Cummings l’approuvât de nouveau. II se
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