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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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chaud à la gorge en avalant. « Maintenant au moins il n’y a plus rien à désirer », se dit-il. Même son corps lui jouera des tours, et sa femme deviendra de plus en plus acariâtre. Personne ne l’appréciait à sa juste valeur.
    Red regardait le dos de Roth ; il était encore tenté d’allonger son bras, de le toucher. Les épaules étroites de Roth, la roideur de son corps, lui apparaissaient comme un reproche ; elles le troublaient, elles lui valaient un sentiment de culpabilité. « Pourquoi je l’ai seulement aidé avec ce nom de Dieu d’oiseau ? se demandait-il. Maintenant c’en est fait entre moi et Croft. » Il soupira avec lassitude. « Ça devait bien arriver, tôt ou tard. Il me fait pas peur de toute façon », se dit-il.
    Croft ne lui faisait-il vraiment pas peur ? Il se le demanda – tout en évitant de se répondre. Il était las, et les avances de Roth l’avaient ému malgré lui. Comme cela lui arrivait souvent quand il était exténué, il avait l’esprit clair et dégagé. Il lui semblait qu’il comprenait toute chose. Mais, dans ces instants-là il s agissait toujours d’un savoir désabusé, alourdi par toutes les fatigues de l’existence. Il songea à Wilson, le revoyant avec netteté, tel qu’il lui était apparu dans l’embarcation d’assaut, le jour de l’invasion. « Grimpes-y vieux bouc, l’eau est bonne et froide, lui avait crié Wilson.
    – Va te faire… » lui avait-il répondu, ou quelque chose de semblable, mais quelle différence cela faisait-il ? Wilson était à un mille ou deux de là, mort peut-être, et à quoi bon tout ça ?
    Aaah, tout le monde perd à ce jeu-là. Il l’avait presque dit à haute voix. C’était la vérité. Il le savait, eux tous le savaient, du premier au dernier. De nouveau il soupira. Ils le savaient et ils s’attendrissaient pourtant, ils n’arrivaient pas s’habituer à cette idée.
    « Même si on s’en tire, on sera baisés. Qu’est-ce que ça leur fera d’être démobilisés ? Ça sera du pareil au même. Rien jamais ne s’arrange comme on veut. » Et, cependant, ils n’étaient pas tout à fait des endurcis, ils croyaient encore que tout serait parfait en fin de compte, ils séparaient les grains d’oj ; du sable et ils n’avaient dés yeux que pour ça, ne regardant que ça –  avec un verre grossissant. Lui aussi faisait de même, lui qui n’avait rien à espérer sinon une succession de petites villes et de chambres meublées et de nuits passées à écouter des hommes qui palabrent dans les bars. Que pouvait-il y avoir d’autre qu’une putain et quelque frisson bon marché ?
    « Peut-être que je devrais me marier, pensa-t-il, s’accompagnant d’une grimace moqueuse. A quoi bon ? Il a eu sa chance, et il l’a repoussée ; il aurait pu avoir Lois, et il s’est dérobé. Quand on est comme moi, on a peur d’admettre qu’on se fait vieux. C’était ça, net et simple. On démarre avec quelque chose en mains, quelque chose que chacun possède au départ, puis ça devient du caca en cours de route.  Il revit Lois, elle se lève au milieu de la nuit pour voir si Jackie ne s’est pas découvert, et quand elle regagne le lit elle se serre en frissonnant contre lui pour se réchauffer. Le souffle lui manqua à ce souvenir, et il le réprima. Il n’avait rien à donner à une femme, rien à donner à personne. Qu’avait-il à leur dire ? Que tout n’était que du fumier ? Même un animal blessé se cache pour mourir.
    Comme en signe de confirmation, ses reins se mirent à lui faire mal.
    Il imaginait néanmoins un temps où toutes ces années de guerre lui paraîtraient différentes, où il rirait au souvenir des hommes de sa section et se rappellerait l’air que la jungle et les collines prenaient parfois à la pointe du jour. Peut-être même regretterait-il la tension que l’on éprouve à chasser un homme. C’était stupide. Il naissait ça plus que tout ce qu’il avait. jamais fait, et cependant il savait que s’il vivait tout se tasserait en fin de compte. Le verre grossissant sur les grains d’or.
    Il grimaça. On est toujours pris au piège. Il l’a été, lui aussi ; malgré tout ce qu’il savait, il s’est bel et bien brûlé. Il avait cru aux journaux. Les journaux sont faits pour que des types comme Toglio y croient, et comme par hasard Toglio a attrapé la bonne blessure, et il rentrera chez lui, et il fera des tartines pour qu’on achète les bons de la

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