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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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enfants, et jusqu’au jour où il échoua dans un orphelinat il avait toujours dormi sur une couverture étalée à même le sol, près d’un fourneau à charbon, au centre de la pièce. Quand, vers le milieu de la nuit, le feu avait baissé, celui des gosses qui le premier avait eu froid se levait et regarnissait le fourneau. « C’est pas si mal de porter des vêtements sales, dit-il. Ça chasse les punaises. » Il avait commencé à laver son linge dès l’âge de cinq ans.
    « Pas vrai que c’est une saloperie de choix ? demanda Minetta. Renifler ta propre puanteur, ou être dévoré par les punaises. » Il pensait à ses vêtements de civil. On le connaissait dans toute sa rue comme Celui qui s’habille le mieux, qui apprend le premier les nouveaux pas de danse, et maintenant il portait une chemise trop grande de deux pointures. « Hé ! tu connais la blague sur les frusques de l’armée ? demanda-t-il. Il y en a de deux pointures : les trop larges et les trop étroites.
    – Je la connais, dit Polack.
    – – Ah ! bon. » Il se souvenait comment, vers le milieu de l’après-midi, il passait une heure à s’habiller et à se peigner avec soin. Il y prenait du plaisir alors même qu’il n’avait pas où aller. « Dis-moi comment on se tire de l’armée, et je te dirai comment on gagne à tous les coups.
    – Y a des moyens, dit Polack.
    – Bien sûr, y a même des moyens pour aller au paradis, mais qui y va jamais ?
    Y a des moyens », répéta mystérieusement Polack,
    secouant la tête dans le noir. Minetta ne voyait que son profil, et il se disait qu’avec son nez crochu et sa longue mâchoire qui se rabattait sur ses gencives fuyantes Polack ressemblait à une caricature de l’Oncle Sam.
    « Alors, quels moyens ? demanda-t-il.
    – T’as pas assez de couilles pour ça, dit Polak.
    – Je vois pas que tu te tires toi-même, de l’armée », insista Minetta.
    La voix de Polack était grinçante et drolatique. « J’aime ça, l’armée », dit-il.
    Minetta commençait à s’irriter. Il n’y avait jamais moyen de gagner un point contre Polack. « Eh, va te faire foutre, dit-il.
    – Oui, toi aussi va te faire foutre. »
    Ils se tournèrent le dos et restèrent tranquilles dans leurs couvertures. Une brume arrivait de l’Océan, et Minetta eut un frisson. Il pensait à la section de reconnaissance dans laquelle ils venaient d’être versés tous deux, et il se demanda avec un petit frémissement d’angoisse s’il allait pouvoir supporter le feu. Tout en s’assoupissant il rêvassait à son retour, il se voyait dans sa rue avec ses rubans sur sa manche. Il se rendit compte que ce retour chez lui était bien lointain encore, et la peur du feu lui revint. Il entendit le bruit distant d’une canonnade, et il tira sa couverture par-dessus ses épaules. Il en ressentit une sensation de bien-être. « Hé ! Polack, dit-il.
    – Que… oi ? » fit Polack, qui dormait presque.
    Minetta avait oublié ce qu’il voulait dire. « Tu penses qu’il va pleuvoir cette nuit ? demanda-t-il au hasard.
    – – A verse.
    – Oui », dit Minetta, fermant les yeux.
    Cette même nuit Croft discutait avec Martinez la nouvelle organisation de la section. Ils étaient accroupis sur leurs couvertures, sous leur tente. « Ce Mantelli est un drôle de Macaroni », dit-il.
    Martinez haussa les épaules. Les Italiens étaient tout comme les Espagnols, comme les Mexicains. Il n’aimait pas ce genre de conversation. « Cinq hommes nouveaux, marmonna-t-il pensivement. Nom de Dieu grande section. » Il sourit dans l’obscurité et donna une petite tape sur l’épaule de Croft. Il était rare qu’il montrât des marques d’affection. « Section tas de bagarres maintenant, hein ? » ajouta-t-il après un moment.
    Croft secoua la tête. « Je voudrais être damné si je sais. » Il se racla la gorge. « Dis donc, mange-Japonais, y a quelque chose que je veux te dire. Je vais nous diviser de nouveau en deux escouades, et je pense que je vais garder la plupart des anciens dans une escouade, et monter l’autre avec toi et Toglio. »
    Martinez se toucha le nez, qu’il avait mince et aquilin. « Ancienne escouade avec Brown ?
    – Oui.
    – Red, caporal de Brown ? » demanda Martinez.
    Croft renifla. « Pour rien au monde je choisirais Red.
    Ce gars-là sait pas obéir aux ordres, alors comment diable pourrait-il en donner ? » Il ramassa un bâton et se donna un

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