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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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étaient modernes ; mais lui, Goldstein, il était comme un vieux grand-père farci de. gémissements et de malédictions, persuadé qu’il allait périr d’une mort violente. « Les juifs se font trop de mauvais sang », dit-il. Il frotta son long nez triste. « C’est un garçon bizarre, ce Goldstein, pensa-t-il. Il s’enthousiasme à propos de tout et de rien, au point que c’en est idiot ; et cependant il suffit de s’embarquer dans une question de politique ou d’économie ou de toucher à n’importe quel sujet d’actualité, et aussitôt, comme tous les juifs, il ramène la conversation au problème de l’antisémitisme.
    « Si nous ne nous faisions pas de mauvais sang, dit Goldstein avec amertume, personne ne s’en ferait. »
    Roth trouvait cela irritant. Simplement parce qu’il était juif lui aussi, les juifs présumaient toujours qu’il devait réagir de la même façon qu’eux. Il en éprouvait un sentiment de frustration. Sans doute : une part de ses malheurs venait du fait qu’il était juif, mais il y avait là une simple injustice ; ce n’était pas parce qu’il prenait ou non un intérêt au problème juif, ni non plus que le hasard l’avait fait naître juif. « Bon, ce n’est pas la peine d’en parler », dit-il.
    Ils restèrent assis, regardant les derniers rayons du couchant. Au bout d’un moment Goldstein consulta sa montre puis loucha du côté du soleil, presque entièrement disparu sous la ligne de l’horizon. « Deux minutes plus tard qu’hier, dit-il à Roth. J’aime me rendre compte des choses comme celle-ci.
    – J’avais un ami, dit Roth, qui travaillait au bureau météorologique de New York.
    – Oui ? demanda Goldstein. Tu sais, j’ai toujours voulu faire un travail de ce genre. Mais il y faut une bonne éducation. Ça demande un tas de calculs, je suppose.
    – Il a été au collège », admit Roth. Il préférait cette sorte de conversations. Elles étaient moins sujettes à controverse. « Oui, il a été au collège, répéta-t-il. Mais c’est égal : simplement, il a eu plus de chance que la plupart d entre nous. Je sors du collège de la ville de New York, et je ne m’en trouve pas mieux.
    – Comment peux-tu dire cela ? demanda Goldstein. Pendant des années j’ai rêvé d’être ingénieur. Pense seulement quelle chose merveilleuse c’est de pouvoir dessiner tout ce que tu veux. » Il soupira avec tristesse, puis sourit. « Mais je ne m’en plains pas. J’ai eu bien de la chance, malgré tout.
    – On se débrouille tout aussi bien sans collège, l’assura Roth. Je ne trouve pas qu’un diplôme serve à grand-chose pour trouver du travail. » Il renifla avec amertume. « Sais-tu que je me suis promené pendant deux ans §ans travail ? Est-ce que tu sais ce que ça représente ?
    – Mon ami. dit Goldstein, tu n’as pas besoin de me le dire. J’ai toujours eu du travail, mais certaines de mes occupations ne valent pas la peine qu’on en parle. » Il eut un sourire désapprobateur. « A quoi bon se plaindre ? demanda-t-il. A tout prendre, nous nous sommes bien tirés d’affaire. » Il avança sa main, la paume à l’air. « Nous sommes mariés l’un et l’autre, et nous avons chacun Un enfant. – Tu as un enfant, n’est-ce pas ?
    – Oui », dit Roth. Il sortit son portefeuille, et Goldstein put discerner dans la douteuse lumière du soir les traits d’un joli garçonnet de deux ans. « Il est beau ton petit, dit-il. Et ta femme est très… très plaisante à voir. » C’était une femme sans grâce, avec un visage trapu.
    « C’est ce que je crois », dit Roth. Il regarda l’image de la femme et de l’enfant de Goldstein, l’en complimenta automatiquement. Il se sentait tout ému en pensant à son fils. Il se souvenait comment son garçonnet le réveillait, le dimanche matin. Sa femme mettait l’enfant dans leur lit, et le petit s’installait à califourchon sur l’estomac de son père il lui tiraillait les poils du torse et il gazouillait de plaisir. D’y penser lui donnait des pointes de joie et de regret à la fois, car il se rendait compte qu’il n’avait pas su prendre tout son bonheur avec son fils au temps où il l’avait avec lui. Il s’irritait quand on dérangeait son sommeil, et il était tout étonné maintenant qu’il ait pu passer outre à de si grands bonheurs. II lui semblait dans cet instant qu’il était très près de se comprendre, de se comprendre

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