Les Nus et les Morts
et de petits auvents de bois penchent dans la canicule. On y respire la poussière, le pétrole, la graisse de cuisine, on y renifle la galeuse odeur d’éparvin des chevaux de trait et des vieillards déchaussés qui sucent leur pipe.
Marna le secoue, elle le houspille en espagnol. Fainéant, va me chercher un poivron et une livre de frijoles. Il prend la pièce de monnaie, elle est froide dans la paume de sa main.
Mama, quand je grand je pilote avion.
Tu es mon brave petit gars (l’humide, le cuisant suçon de ses lèvres, odeur de chair), maintenant va me chercher ce que je t’ai dit.
Il y a beaucoup de choses je ferai, mama.
Elle rit. Tu gagneras de l’argent, tu auras des terres, mais maintenant file.
Les petits garçons mexicains grandissent ; le poil leu/ vient au menton, pareil à une vigne minuscule. Quand on est paisible et timide, il est difficile de se trouver une fille.
Isidoro est son grand frère ; il a vingt ans et il est chic. Ses souliers sont marron et blanc et ses favoris sont longs de deux pouces. Julio l’écoute.
Je tombe de la bonne camelote. Grandes filles. Filles blond platine, Alice Stewart, Peggy Reilly, Mary Hennessey. Filles protestantes.
Moi aussi je les tombe.
Isidoro rit. Toi fais l’amour dans ta main. Plus tard tu seras malin. Tu apprendras à jouer la femme comme une guitare.
Julio fait l’amour à quinze ans. Dans la rue en terre battue il y a une petite fille qui ne porte pas de culotte. Isabel Flores, sale petite fille. Tous les garçons elle fait l’amour avec.
Julio, tu es tendre, tendre, tendre.
Sous l’arbre, derrière la maison vide, dans le noir. Julio comme les chiens, okay ?
Il sent la douce nausée qui rend malade. (Filles protestantes m’aiment bien, je gagnerai beaucoup d’argent.) Isabel, quand je grand je t’achètes beaucoup de robes.
Le corps velouté et moite de la petite fille se détend. Elle est couchée sur ses vêtements épars, ses jeunes seins s’abandonna dans la chaleur de l’été. Robes ? elle demande. De quelle couleur seront-elles ?
Julio Martinez est grand garçon maintenant, grand financier ; il travaille dans une gargote. Au comptoir. Pleine, riche odeur de cochon frit, d’ail fondu dans les saucisses sur la grille. Joe et Nemo, Harry et Dick. La gargote s’appelle White Tower. Lardons sur un plateau brûlant et la friture, la graisse rance à gratter avec la spatule. Martinez porte un veston blanc.
Les Texiens sont parfois impatients. Hé ! toi le gars, dépêche avec ce chilé.
Oui, monsieur.
Les prostituées le regardent comme s’il n’existait pas. Beaucoup d’assaisonnement, garçon.
Oui, mademoiselle.
Les phares des automobiles flamboient dans la nuit électrique. Sur le sol de ciment ses pieds lui font mal. (Je gagnerai beaucoup d’argent.)
Mais il n’y a pas de travail qui rapporte beaucoup d’argent. Que peut faire un jeune Mexicain à San-Antonio ? Il peut travailler au comptoir d’une gargote ; il peut être chasseur d’hôtel ; il peut être ramasseur saisonnier de coton ; il peut ouvrir une boutique ; il ne peut pas être docteur, avocat, grand marchand, patron.
Il peut faire l’amour.
Rosalita a un gros ventre ; c’est un ventre presque aussi gros que celui de son père, Pedro Sanchez. Tu épouseras ma fille, dit Pedro.
Si. (Rosalita deviendra grasse, des enfants courront par la maison. Creuh-crouh, creuh-crouh, pouffe dans ton oreiller. Lui creusera des fossés sur les routes.)
En tout cas car tu as été son premier.
Si. (Ça n’était pas sa faute. Sheik, Ramses, Golden Trojan, bonnes capotes pourtant. Parfois c’était deux dollars pris sur les vingt qu’il se faisait par semaine.)
J’e parlerai à Senora Martinez.
Si. Si vous voulez.
La nuit est lourde de chagrin. Rosalita est tendre, mais il y a des filles plus tendres. Il marche par les rues en terre battue. On commence à les paver.
Fatigué ? Inquiet ? Tomber une fille ? Engage-toi dans l’armée.
En 1937, Martinez est soldat de deuxième classe. En 1939, il est toujours soldat de deuxième classe. Gentil, timide Mexicain avec de bonnes manières. Sa tenue est toujours impeccable et c’est bien suffisant pour appartenir à un corps de cavalerie.
Il y a les corvées. Tu sarcles le jardin des officiers, tu peux être boy dans leurs réceptions. Tu panses ton cheval après l’avoir monté ; si c’est une jument, tu lui torches le dessous de la queue. Il fait chaud dans les étables, on y sent
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