Les Nus et les Morts
coup sur la guêtre. « J’ai pensé à Wilson, dit-il. Mais Wilson sait même pas lire une carte.
– Galagher ?
– J’aimerais bien, Gallagher. Mais il voit rouge tout le temps. » Il hésita un instant. Je te dirai : « J’ai pris Stanley. Brown me casse les oreilles avec Stanley, tellement il le vante. Je me suis dit qu’il est fait pour s’entendre avec Brown. »
Martinez haussa les épaules. « Ta section. »
Croft casse le bâton en deux. « Je sais, Stanley est le plus grand lèche-cul de la section, mais au moins il voulait le boulot, ce qu’on peut pas dire de Red ou de Wilson. S’il fait pas l’affaire je le dégomme, c’est tout. »
Martinez approuva de la tête. « Seulement essayer, je suppose. » Il regarda Croft. « Tu dis j’ai escouade avec sacrés hommes qui sont… sont nouveaux ?
– C’est ça » Il lui flatta l’épaule. Martinez était le seul homme de la section qu’il aimât, et il en prenait un souci presque paternel – tout à fait contraire à sa nature. « Je te dirai, mange-Japonais, fit-il d’un ton brusque. T’en as vu plus qu’aucun homme dans la section, moi y compris. Comme je vois les choses, je m’en vas utiliser les anciens pour la plupart des patrouilles parce qu’ils savent s’y prendre. L escouade avec les nouveaux se la coulera douce pour un bon moment. C’est pourquoi je veux que tu la commandes. »
Martinez pâlit. Son visage était sans expression, mais un de ses yeux clignota nerveusement à plusieurs reprises. « Brown mauvais nerfs ; dit-il.
– Au diable, Brown. Depuis l’affaire des canots de caoutchouc, il a toujours manqué le coup de pétard. C’est son tour. T’as besoin de repos, vieux. »
Martinez effleura sa ceinture. « Martinez sacré bon éclaireur okay, dit-il avec fierté. Brown bon gars, mais ses nerfs… pas foutre bon. Moi avec vieille escouade, okay ?
– La nouvelle se la coulera douce. »
Martinez secoua la tête. « Nouveaux hommes pas me connaître. J’aime pas. Pas foutre bon. » Il se raidit, dans l’effort de traduire ses sentiments en anglais. « Je donne ordre… dispute. Ecoutent pas moi. »
Croft fit oui de la tête. L’argument n’était pas sans valeur. Et cependant il savait quelle peur Martinez avait. Parfois, la nuit, il pouvait l’entendre qui gémissait dans ses cauchemars. Quand il le touchait pour le réveiller, Martinez sursautait comme un oiseau qui prend l’envol. « T’es vraiment sûr, mange-Japonais ?
– – Oui. »
Quel bon vieux gars ce mange-Japonais, pensa Croft. Il y avait de bons Mexicains et de mauvais Mexicains, mais les bons étaient imbattables. « Un vrai homme lâche pas son boulot », se dit-il. Il ressentit un singulier élan d’affection pour Martinez. « T’es un bon vieux fils de garce », lui dit-il.
Martinez alluma une cigarette. « Brown peur, Martinez peur, mais Martinez meilleur éclaireur », dit-il doucement. Son œil clignait toujours. Il semblait que, devenue transparente, sa prunelle révélait les battements angoissés de son cœur.
LA MACHINE A FAIRE LE TEMPS :
JULIO MARTINEZ. FERRER LA JUMENT
Un Mexicain de petite taille, svelte, très beau, la chevelure ondoyante et soignée, les traits menus. Son corps avait le port et la grâce d’un cerf. Et comme celle d’un cerf, sa tête n’était jamais tout à fait immobile. Ses yeux, d’un brun liquide, semblaient toujours sur le qui-vive, comme s’il eût été sur le point de prendre la fuite.
Les petits garçons mexicains se nourrissent eux aussi de légendes américaines ; eux aussi veulent être des héros, aviateurs, amants, financiers.
Julio Martinez, huit ans, marche dans les rues fétides de San-Antonio, 1926. Il trébuche sur les cailloux, et il regarde le ciel du Texas. Hier il a vu un avion dans les airs ; aujourd’hui, étant jeune, il espère voir un autre avion.
(Quand je grand je fais avions qui volent.)
Ses courtes culottes blanches lui arrivent à mi-cuisse. Sa chemise blanche décolletée découvre des bras de garçonnet, fins et hâlés. Son cheveu est noir et bouclé. Madré petit Mexicain.
Professeur m’aime, mama m’aime, grosse grasse mama avec l’haleine ; ses bras sont forts et sa poitrine est molle ; la nuit, dans les deux petites chambres, on entend mama et papa, creuh-crouh, creuh-crouh, pouffe dans ton oreiller. (Quand je grand je fais avions qui volent.)
Dans le quartier mexicain les rues ne sont pas pavées,
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