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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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chose s’opposait à son avance. Il ne le percevait pas clairement, sa tête semblait prise dans un remous d’huile, et pourtant il devait y avoir une raison. Il ne parvenait pas à en comprendre la cause. Avec répugnance, en proie à une hystérie réprimée qui embrassait tout son être comme s’il devait poser son pied nu dans un amas de larves bouffies, il avança une jambe, puis l’autre – chaque pas une torture. En une minute il ne fit pas plus d’une dizaine de pieds. La sueur lui brûlait les yeux. Il se faisait l’impression de sentir chaque goutte qui exsudait de ses pores et rejoignait les filets de sueur qui se précipitaient selon les plis de son visage et de son corps.
    Une chose lui était claire intuitivement. Les Japonais n’auront taillé que deux pistes tout au plus. L’une, celle qu’il foulait dans ce moment, se situait à l’orée du bois, face à la vallée, perpendiculairement au col ; l’autre formerait avec celle-ci un T renversé, et traverserait le bois de part en part. Il se trouvait sur l’une des branches du T, qu’il devrait suivre jusqu’à son point d’intersection. Il ne pouvait être question de prendre directement à travers les broussailles ; le moindre bruit l’aurait trahi, et il y avait toujours le risque de buter contre un obstacle imprévu.
    Il se remit à ramper à quatre pattes. Les secondes s’écoulaient comme des unités individuelles – presque comme s’il percevait le tic-tac d’une horloge. Tout murmure que les hommes faisaient entendre dans leur sommeil le mettait à la limite des sanglots. Ils étaient tout autour de lui ! Il semblait s’être divisé en plusieurs parts ; il existait dans ses mains et ses genoux endoloris, dans sa gorge qui s’enflait et s’étranglait, dans l’insupportable activité de son cerveau. Il se trouvait tout proche de l’état d’insensibilité finale propre à celui qui, ayant été roué de coups jusqu’à perte de connaissance, ne se soucie plus de se relever. Venant de très loin, le murmure nocturne de la jungle frappait son oreille.
    Il s’arrêta au tournant de la piste, regarda autour de lui – et poussa presque un cri. A trois pieds devant un homme était assis près d’une mitrailleuse.
    Martinez rentra la tête dans ses épaules. Aplati sur le sol il attendit que, pivotant son arme, la sentinelle le criblât de balles. Mais rien ne se produisit. Il regarda de nouveau autour de lui, comprit que le Japonais, qu’il voyait de trois quarts, ne l’avait pas aperçu. Derrière la mitrailleuse se trouvait la tige du T. Il ne lui était pas possible de doubler la sentinelle sans se faire repérer.
    Il savait pour lors ce qui s’était opposé à son avance. Bien sûr. Pourquoi n’avait-il pas pensé qu’ils posteraient une sentinelle le long de la piste ? El juicio. Cependant une autre crainte oscillait encore autour de sa peur ; comme le meurtrier qui se remémore tous les petits détails dont il avait oublié de prendre soin en commettant son crime, il sentait une sourde menace dilater sa terreur. Quoi d’autre, por Bios, quoi d’autre ? Il observait le mitrailleur avec une fascination qui le paralysait. S’il avait voulu, il aurait pu le toucher de la main. Le soldat était tout jeune, presque un adolescent, les traits inexpressifs, les yeux clos à demi, la bouche étroite. Il paraissait à moitié endormi sous la lueur de la lune qui filtrait à l’orée du bois.
    Martinez se faisait l’impression d’être en pleine irréalité. Qu’est-ce qui le retenait de toucher ce garçon, de le saluer ? Ils étaient des hommes. Tout ce qui était guerre s’ébranla dans son esprit, menaça ruine, puis se redressa sous une nouvelle vague de terreur. S’il le touchait, il était un homme mort. Cela semblait inconcevable.
    Il ne pouvait plus revenir sur ses pas. Il lui était impossible de tourner sur lui même sans faire quelque bruit, sans donner l’éveil au mitrailleur. Et il lui était impossible de l’éviter ; la piste côtoyait l’emplacement de la mitrailleuse. Il lui faudrait tuer ce garçon. Malgré leur surtension, tous les sens de Martinez se raidirent à cette pensée. Il demeurait immobile, secoué de frissons, conscient tout à coup de son extrême faiblesse. Toute force, toute capacité de mouvement semblaient absentes de ses membres. Il était réduit à dévorer des yeux le visage du soldat éclairé par la lune qui filtrait à travers la végétation.
    Il devait se

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