Les Nus et les Morts
mitrailleuse et s’engagea dans la clairière, rampant de rocher en rocher jusqu’à ce qu’il eût atteint la protection de la falaise. Il jeta un dernier regard en direction du bois et se mit à descendre le défilé.
Tout en continuant son chemin il était obsédé par un double sentiment de déception. Il était revenu sur ses pas plus tôt qu’il n’aurait dû, et cela le tracassait. Il se demandait comment modifier son récit pour satisfaire Croft. Mais, plus direct, plus pénible, était son regret de n’avoir pas pris la montre-bracelet. C’eût été si facile. Maintenant qu’il avait le bois derrière lui, il s’en voulait d’avoir eu peur de s’y attarder. Il songeait à tout ce qu’il aurait pu faire. En plus de la montre il aurait pu recouvrer son couteau (il l’avait oublié en se retrouvant face au cadavre), ou encore il aurait pu enrayer la mitrailleuse en versant du sable dans la culasse. Il pensa avec amusement à la mine qu’ils auraient faite, et il se rendit compte avec une secousse combien ils seraient horrifiés en découvrant l’homme mort.
Nom de Dieu, bon vieux Martinez. Il sourit à la pensée que Croft lui ferait ce compliment.
En moins d’une heure il regagna la section et fit son rapport à Croft. La seule chose qu’il inventa fut qu’il n’y eut pas moyen de contourner le deuxième bivouac.
Croft approuva du chef. « Fallait que tu le tues, ce Japonais, hein ?
– Oui.
– Aurait mieux pas valu. Ça les ameutera d’un bout à l’autre de la ligne. » Il réfléchit un instant, puis ajouta pensivement : « J’en sais rien, on peut jamais dire ce que ça donnera. »
Martinez soupira. « Nom de Dieu, pas penser à ça. » Il était trop fatigué pour éprouver des regrets, mais tout en se glissant sous sa couverture il se demandait combien d’autres erreurs il avait commises, qu’il découvrirait dans les jours à venir. « Nom de Dieu fatigué, dit-il pour éveiller la sympathie de Croft.
– Oui, tu las eue raide », dit Croft. Il mit la main sur l’épaule de Martinez et la serra violemment. « Pas un foutu mot au lieutenant. T’as traversé le col sans rencontrer rien de rien, compris ?
– Ça va, c’est comme toi dire, fit Martinez, abasourdi.
– C’est ça, t’es un bon gars, Mange-Japonais. ».
Martinez sourit mollement. Trois minutes plus tard il était endormi.
Le lendemain matin Hearn se réveilla frais et dispos. Il se retourna dans sa couverture, regardant le soleil se lever sur les collines qui semblaient émerger comme des rocs hors de L’eau. Partout la brume matinale s’abîmait dans les creux et les vallées et Hearn se faisait l’effet de voir très loin, presque jusqu’aux limites orientales de l’île, à une centaine de milles de là.
Autour de lui les hommes eux aussi se réveillaient. Croft roulait sa couverture, et un ou deux hommes revenaient d’une visite dans l’herbe. Hearn s’assit, remua ses orteils à l’intérieur de ses chaussures, se demandant paresseusement s’il devait changer de chaussettes. Il avait une paire de réserve, sale elle aussi à présent, mais haussant les épaules, il décida que la chose ne valait pas le dérangement. Il se mit à ajuster ses jambières.
Red grommelait à côté de lui. « Quand est-ce que cette foutue armée apprendra à faire des jambières mieux que ça ? » Il se débattait avec un lacet qui s’était rétréci au cours de la nuit.
« J’ai entendu dire qu’on aura bientôt des chaussures montantes comme des bottes de parachutiste. C’en sera fait des jambières. »
Red se frotta le menton. Il ne s’était pas rasé depuis le commencement de la patrouille, et sa barbe était d’un blond plutôt barbouillé. « On en verra jamais la couleur, dit-il. Ces foutus magasiniers les garderont toutes.
– Eh bien… » fit Hearn. Il sourit. Le mauvais coucheur. Red était le seul de la section avec qui il valait la peine de causer, – le sage. Seulement, il ne se laissait pas approcher.,
« Dites, Valsen… dit-il, obéissant à une impulsion.
– Oui ?
– Nous sommes à court de caporal ; de deux, maintenant que Sanley est avec Wilson. Voulez-vous faire fonction de caporal pour le restant de la patrouille ? Et quand nous rentrerons, nous tâcherons de vous conserver votre grade. » C’était un bon choix. Red avait la sympathie des hommes, il se montrerait certainement à la hauteur.
Mais il se sentait un peu embarrassé
Weitere Kostenlose Bücher