Les Nus et les Morts
boire », répéta-t-il. Sa voix fut sans réplique, et Wilson retomba dans sa rêverie.
Ils soulevèrent le brancard, firent quelques pas en titubant, puis s’arrêtèrent de nouveau. Le soleil s’en allait vers l’ouest et le temps fraîchissait, mais c’est à peine s’ils s’en apercevaient, fis devaient porter Wilson encore et encore, et jamais ils n’en seraient quittes. La chose, sans leur être tout à fait claire, était implicite tout au fond de leur fatigue. Ils savaient seulement qu’ils devaient continuer – et ils continuaient. Tout l’après-midi, et jusqu’à la tombée du jour, Ridges et Goldstein poussèrent de l’avant par petits bouts, et peu à peu les bouts finirent par s’additionner. Quand ils se furent arrêtés pour la nuit, quand ils eurent enveloppé Wilson dans l’une de leurs couvertures et se tassèrent l’un contre l’autre pour un sommeil de mort, cinq milles les séparaient de l’endroit où ils avaient laissé Brown et Stanley. Déjà la jungle n’était pas trop distante. Encore qu’ils n’eussent rien dit, ils l’entrevirent du haut de leur dernière colline. Demain ils dormiraient peut-être sur la plage dans l’attente du canot qui les ramènerait au bivouac.
Le commandant Dalleson était dans l’embarras. Ce troisième matin de la patrouille le général venait de partir pour le G. Q. G. en vue d’obtenir un destroyer pour l’invasion de Botoï Bay, et Dalleson se vit en "fait chargé du f commandement dans l’île. Du point de vue purement technique le colonel Newton, commandant du 4 10, et le lieutenant-colonel Conn, étaient ses supérieurs, mais en l’absence du général la charge des opérations incombait à Dalleson, et il se trouvait avec une tâche difficile sur les bras.
L’attaque, pour lors dans son cinquième jour, ne s’enlisa que depuis la veille. La chose avait été prévue car, l’avance ayant dépassé le plan d’exécution, il fallait s’attendre à un accroissement de la résistance japonaise. > En conséquence le général lui avait dit de marquer le pas. « Les choses vont se calmer, Dalleson. Je suppose que nous essuyerons une ou deux contre-attaques, mais rien de bien grave. Maintenez votre pression sur l’ensemble du front, c’est tout. Si je réussis à leur faire lâcher un destroyer ou deux, nous aurons liquidé la campagne en une semaine. »
Des instructions bien simples, mais les choses ne prenaient pas cette tournure. Une heure après l’envol du § général, Dalleson avait reçu un rapport déroutant. Une » escouade de la compagnie E ayant poussé une reconnaissance sur un millier de mètres au-delà de leur position la plus avancée, elle découvrit un bivouac japonais à l’abandon. A moins que les coordonnées signalées dans le rapport fussent entièrement erronées, le bivouac en ; question devait se trouver presque sur les arrières de la i Ligne Toyaku.
A première vue Dalleson n’en crut rien. Il se souvenait du sergent Lanning et de ses. faux rapports, il songeait aux raisons que l’on avait de supposer que bon nombre de chefs d’escouade et de section ne s’acquittaient pas de leur tâche. Cependant, la chose semblait peu probable. Si un homme fabrique son rapport il est plus vraisemblable qu’il prétende avoir tourné les talons après s’être heurté a la résistance de l’ennemi.
Le commandant se gratouilla le nez. Il était onze heures du matin, et le soleil cuisait la tente du service des opérations depuis assez longtemps pour en rendre l’atmosphère irrespirable – à quoi venait s’ajouter la déplaisante odeur de la toile surchauffée. Il suait à grosses gouttes, et la partie du bivouac qu’il apercevait à travers les cloisons ferlées de la tente miroitait et réverbérait dans la chaleur. Il avait soif, et il se demandait s’il devait envoyer un des soldats au mess des officiers pour lui chercher de la bière froide du frigidaire, mais c’était se donner trop de peine. C’était un de ces jours où il eût préféré ne rien faire sinon rester derrière sa table de travail et attendre l’arrivée des rapports. A quelques pas de lui deux officiers discutaient le moyen de se procurer une jeep pour un après midi de sable et de nage. Le commandant lâcha un rot. Comme d’habitude, les journées particulièrement chaudes lui dérangeaient l’estomac. Il s’éventa avec lenteur, vaguement irrité.
« Il paraît, disait un des lieutenants avec une
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