Les Nus et les Morts
d’une colline, s’aperçoit qu’il a déclenché une avalanche. Pourquoi fallait-il que le général fût absent ?
A tout cela venait s’ajouter l’activité qui bourdonnait autour de lui. Chacun travaillait sous la tente du service des opérations, et il voyait des hommes qui allaient et venaient par le bivouac, tous évidemment à leur tâche. Dérangeant l’air caniculaire, les trépidations d’un convoi de camions lui arrivaient de loin. C’est lui qui avait mis tout ça en branle. Il n’arrivait pas à y croire tout à fait.
Le fromage qu’il mâchonnait était sec. Il enrageait de voir que çà et là un homme sommeillait encore sous sa tente, mais il n’avait pas le temps de s’en occuper. Tout était sur le point de se déglinguer. Le commandant se faisait l’effet d’avoir les bras chargés d’une douzaine de colis, dont ceux du sommet commençaient déjà à dévaler. Jusqu’à quel point devra-t-il faire le jongleur ?
Et l’artillerie. Elle aussi, il fallait la coordonner. Il grogna. La machine tombait en pièces, à chaque instant engrenages et ressorts et boulons giclaient de toutes parts. Il n’avait même pas songé à l’artillerie.
Dalleson se prit la tête et s’efforça de réfléchir, mais il se sentait creux. Un message arriva, l’informant que les éléments avancés du bataillon de réserve avaient établi contact avec la compagnie E, installée sur ses nouvelles positions. Quand le restant du bataillon s’y sera rendu, que. devra-t-il faire ? Le dépôt japonais de ravitaillement se trouvait dans des souterrains creusés au pied d’une colline. Il pouvait y envoyer le bataillon – et puis quoi après ? Il lui fallait encore d’autres renforts.
Il aurait sans doute hésité s’il avait eu toute sa tête, mais tout ce à quoi il pouvait penser c’était de déplacer des troupes. Il donna ordre à la compagnie Charley de rejoindre le bataillon de réserve, et à la compagnie Baker de s’étendre sur le terrain évacué sur sa gauche par Charley. Cela lui rendait les choses plus simples. Deux compagnies tiendraient des positions normalement assignées à trois compagnies, et c’était tout aussi bien. Il n’aura pas à se faire de bile à leur sujet. Et le flanc droit sera en mesure d’attaquer de front. Que tout l’ensemble se porte en avant, que l’artillerie se débrouille toute seule. Il leur donnera encore un bataillon pour le dépôt de ravitaillement, et après cela tout dépendra des liaisons et de la chance.
Il appela Div Arty. « Je veux que vous fassiez prendre l’air à vos avions de liaison pour tout l’après-midi. Vos deux avions.
– On en a perdu un l’autre jour, rappelez-vous, et l’autre est en panne.
– Pourquoi me l’avez-vous pas dit ? hurla Dalleson.
– Nous vous l’avons dit. Hier. »
Il jura. « Bon, eh bien assignez vos observateurs de ligne aux compagnies Able, Baker, Charley et Dog du 460", et Charley du 458".
– Et qu’est-ce qu’on fait pour les communications ?
– Débrouillez-vous. J’ai assez de casse tête sans ça. » La transpiration lui chatouillait le dos. Il était déjà une heure, et la toile inclinée de la tente cuisait au soleil.
L’après-midi s’avançait avec lenteur. Il était trois heures quand le bataillon de réserve et la compagnie Charley eurent complété leurs mouvements, mais Dalleson se trouvait pour lors au bout de son rouleau. Près d’un millier d’hommes étaient concentrés sur sa base la plus avancée, et il n’avait pas la moindre idée où les diriger. Il songea un moment à les rabattre sur leur gauche, vers la mer. Cela aurait coupé la ligne japonaise en deux, mais il se souvint à temps qu’il avait dégarni son flanc gauche en y prélevant une compagnie. En serrant les Japonais de ce côté-là il risquerait d’exposer ses positions en première ligne. Il avait envie de se cogner la tête contre la table. Quelle gaffe c’eût été !
Il pouvait les envoyer sur leur droite, vers la montagne, mais une fois les défenses japonaises défoncées il lui serait difficile d’amener l’artillerie à pied d’œuvre, et les troupes à l’extrême pointe de l’avance devraient être ravitaillées sur une route démesurément étendue. Il était en proie au même genre. de panique que Martinez lors de son solo. Il y avait tant de choses, trop évidentes pourtant, qu’il oubliait.
Le téléphone sonna de nouveau. « Ici Rock and Rye (commandant du
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