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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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force sous la toile. « Jésus » faisait-il en riant. Il se sentait pris dans un sac, et il riait. « Trop faible pour me dépêtrer d’un sac de papier », se dit-il, et à cette pensée tout lui parut encore plus risible. « Où êtes-vous ? » cria-t-il ; mais à ce moment-là l’air gonfla de nouveau la tente, l’arracha net et l’emporta en tourbillonnant. Un bout de toile resta attaché à l’un des piquets, claquant dans la bourrasque. Les quatre hommes se redressèrent, puis aussitôt s’accroupirent sous la violence du souffle. Le soleil se voyait encore, juste au-dessus de l’horizon, à travers une déchirure dans le ciel, infiniment lointaine semblait-il. La pluie était devenue très froide, presque glaciale, et ils frissonnaient. A peu près toutes les tentes du bivouac étaient parties. Çà et là un soldat sautillait dans la boue, titubant sous l’assaut du vent en une succession de saccades pareilles à celles que l’on voit faire à des personnages dans un film accéléré. « Jésus, je suis gelé, cria Toglio.
    – Allons-nous-en d’ici », fit Wyman. Il était couvert de boue, et ses dents claquaient. « Nom de Dieu de pluie ! »
    Ils sortirent en trébuchant de leur trou et prirent la course en direction du parc automobile pour se mettre à l’abri des camions. Malmené par le vent, ayant perdu le contrôle de ses mouvements, Toglio chancelait comme s’il avait lâché trop de lçst. « J’ai oublié mon fusil ! lui cria Goldstein.
    –  T’en as pas besoin », gueula Toglio.
    Goldstein essaya, de s’arrêter, de revenir sur ses pas, mais le vent l’emmenait dans sa course. « On ne sait jamais ! » s’entendit-il hurler. Ils couraient côte à côte, et c’était comme s’ils rugissaient à travers une pièce énorme. Durant une seconde Goldstein éprouva un sentiment de jubilation.
    Toute une semaine ils avaient turbiné pour arranger leur bivouac ; tous leurs instants libres avaient été pris à mettre au point quelque nouvelle amélioration. Et voici gue tout était perdu : noyés, ses vêtements et son papier à écrire ; rouillé, son fusil, à n’en pas douter ; trop détrempé, le sol, pour que l’on y pût dormir. Tout n’était que ruine. Goldstein en éprouvait une sorte d’hilarité, comme il arrive quand tout finit dans le désastre.
    Lui et Toglio furent soufflés dans le parc automobile. Voulant prendre un virage, ils télescopèrent l’un dans l’autre et s’étalèrent dans la boue. Goldstein aurait aimé rester là sans plus bouger, mais il prit appui sur ses mains, se ramassa, et gagna en titubant un des camions. A peu près toute la compagnie s’entassait dans et sous et derrière les camions. Il avait échoué parmi un groupe d’une vingtaine d’hommes agglutinés à l’abri d’une benne. Serrés les uns contre les autres en quête de chaleur, ils frissonnaient et claquaient des dents. Tout ce qu’il pouvait distinguer c’était la silhouette verte du camion et le vert noirâtre des uniformes. « Jésus », fit quelqu’un.
    Toglio essaya d’allumer une cigarette, mais elle se défit avant qu’il pût sortir les allumettes de sa bourse imperméable. Il la jeta, regardant comme elle se dissolvait dans la boue. Bien qu’il fût entièrement trempé, le contact de la pluie ne cessait pas d’être pénible ; chaque goutte qui s’écoulait le long de son dos lui faisait l’impression d’une exécrable, d’une répugnante limace froide. Il se tourna vers son voisin, criant : « Partie, la tente ?
    – Voui. »
    Il s’en trouva réconforté. Il se passa la main sur sa joue noire et barbue, et soudain il se sentit très proche de tous ces hommes. Une vague de chaleur intérieure les lui fit aimer immensément. « Ce sont tous de bons zigue. s, de bons Américains », se dit-il. Il fallait être Américain pour supporter une chose comme celle-ci, et pour en rire.
    Il avait froid aux mains, et il les enfonça dans les poches bouffantes de sa salopette.
    Red et Wilson, qui se tenaient à quelques pas de là, se mirent à chanter. La voix de Red était profonde et bourrue, et Toglio rit en les écoutant.
    Une fois j’ai construit un chemin de fer, je l’ai fait rouler L’ai fait courir contre le temps…
    chantaient-ils tout en trottant sur place pour se réchauffer.
    Une fois j’ai construit un chemin de fer, voilà qui est fait, Frère, peux-tu me donner un sou ?
    Toglio se surprit riant à gorge

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