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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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déployée. Red était un comique, se disait-il tout en se mettant à les accompagner.
    Une fois j’ai construit une tour jusqu’au ciel Briques et rivets et chaux,
    Une fois j’ai construit une tour, voilà qui est fait, Frère, peux-tu me donner un sou ?
    Toglio reprit sur la dernière strophe, et Red lui fit un signe encourageant de la main. Ils chantaient à tue-tête, leurs bras enlacés pour se prêter mutuellement un peu de chaleur. Le vent tombait de temps à autre et ils pouvaient alors entendre leurs voix à la sonorité distante, un peu irréelle, comme celle d’un poste de T. S. F. situé dans une chambre adjacente, et dont le volume augmenterait et baisserait, augmenterait et baisserait.
    Une fois habillés de kaki C’est fou ce qu’on était chic Pleins de ce Yankee Doodly Dum.
    Un demi-million de bottes s’en furent cognant par l’enfer,
    C’était moi le porte-tambour.
    Dis, te rappelles-tu, on m’appelait Al ?
    C’était Al encore et toujours.
    Dis, te rappelles-tu, je suis ton copain ?
    Frérot, peux-tu me donner un sou ?
    Ils partirent d’un rire, en finissant, et Toglio s’époumona : « Qu’est-ce qu’on chante maintenant ? Si c’était Montre-moi le Chemin du Pays ?
    – Peux plus chanter ! cria Red. J’ai le gosier trop sec.
    Besoin de boire un coup. » Il avança les lèvres et roula les yeux, et Toglio rit dans l’averse. Quel vilain comique, ce Red. C’étaient tous de bons zigues.
    Toglio se mit à chanter Montre-moi le Chemin du Pays, et plusieurs voix reprirent avec lui.
    Je suis las et je veux aller au lit J’ai bu un coup il y a une heure Et ça m’a monté à la tête
    La pluie tombait drue et régulière, et tout en chantant Toglio se laissait aller à une vague et douce sensation. Bien qu’étroitement serré dans la foule, il frissonnait de froid. Il se vit conduisant une voiture par un crépuscule d’hiver, aux approches d’une ville inconnue qui le saluait de sa chaleur et de ses lumières.
    N’importe où que j’aille errer Par, terre ou par mer ou par écumes, Tu m’entendras toujours chanter cette chanson, Montre-moi le chemin du pays.
    Il faisait presque noir, et sous les cocotiers, à l’abri des camions, il devenait difficile de distinguer les visages. L’humeur de Toglio s’assombrit, elle devint triste et mélancolique. Il revit sa femme, l’air qu’elle avait en arrangeant un arbre de Noël, et une larme coula le long de sa joue lourde et charnue. Le temps d’une minute il se trouva loin de la guerre, de la pluie ; bientôt il allait avoir à se préoccuper d’un gîte pour la nuit, mais en attendant il chantait avec résolution, remuait ses orteils, et se laissait envahir par les doux et voluptueux souvenirs que la chanson évoquait dans son esprit.
    Une jeep arriva en se dandinant dans la boue, s’arrêta à une trentaine de pieds de là. Le général Cummings en descendit, suivi de deux officiers, et Toglio donna du coude dans les côtes de Red pour le faire taire. Nu tête, son uniforme trempé, le général souriait. Toglio le regardait avec intérêt et une sorte de déférence. Il l’avait aperçu bien des fois dans le bivouac, mais c’était la première fois qu’il le voyait de si près. « Eh bien, eh bien, cria le général tout en s’approchant, comment est-ce, de se sentir mouillé ? » Toglio rit avec les autres, et le général rit à son tour. « Ça ne fait rien, cria-t-il, vous n’êtes pas de sucre. » Le vent reflua, et il fit d’une voix moins forte à l’adresse des deux officiers qui l’accompagnaient : « Je crois bien que la pluie est sur le point de s’arrêter. Je viens de téléphoner à l’instant à Washington, et le ministère de la Guerre me l’a assuré. » Les deux officiers rirent vigoureusement, et Toglio sourit. Le général était un chic type, un parfait exemple d’officier.
    « Bien, soldats, dit le général à haute voix, je ne pense pas qu’il reste une seule tente debout dans les parages. Aussitôt que la tempête diminuera on tâchera de faire venir des toiles de la plage, mais je ne doute pas que la plupart d’entre vous passent une mauvaise nuit. C’est regrettable, mais vous avez déjà été mouillés et vous savez ce que c’est. Il y a un peu de casse là-haut, en première ligne, et il se pourrait que certains d’entre vous passent la nuit dans un endroit pire que celui-ci. » Il se tut pour un instant, debout dans la pluie, puis ajouta : « Je

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