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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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essayaient de la maintenir en place tout en s’efforçant, sans y réussir, de garder leurs pieds au sec. Dehors l’eau formait de grandes mares qui s’élargissaient sans cesse, étendant des tentacules comme autant d’énormes amibes qui avalaient la terre. « Nom de Dieu de nom de nom », dit Wilson.
    Goldstein et Ridges étaient trempés. Quand la pluie avait commencé, ils étaient sortis pour consolider les piquets de la tente. Goldstein avait empilé les couvertures ans son sac imperméable, puis il s’était agenouillé pour mieux clouer l’abri au sol. « Ça c’est terrible », cria-t-il.
    Ridges fit oui de la tête. Sa face, laide et trapue, ruisselait d’eau, et ses cheveux filasse couleur sable collaient en spirale autour de son crâne. « Rien à faire qu’à attendre », cria-t-il de retour. Sa voix se perdit dans le Çent et Goldstein n’entendit que le mot « attendre », dont la longue, gémissante sonorité le fit tressaillir. On eût dit que l’univers tout entier s’était abîmé, ne. laissant autour d’eux qu’une grise, rugissante violence. Se redressant comme un bois d’arc la faîtière de bambou s’échappa de ses mains, et il se fit cruellement mal. Il était si trempé que sa salopette en paraissait noire.
    Le fond de l’océan devait ressembler à cela, se dit-il. Il avait lu qu’il existait des tempêtes sous-marines, et cela devait être à peu près pareil. Encore qu’impressionné, et préoccupé à la fois par la stabilité de la tente, il observait l’orage avec fascination. Il se disait que le monde devait avoir eu cet aspect à l’époque où il avait commencé à se refroidir, et il se sentait excité comme s’il assistait à là création des choses. Il était ridicule de se préoccuper en même temps pour la tente, mais il n’y pouvait rien. Il avait cependant la conviction qu’elle résisterait, les piquets avaient trois pieds de long, et ce sol argileux tenait bon sous le choc. S’il avait seulement su qu’un orage pareil allait éclater, il aurait fait un abri capable de tenir par n’importe quel temps ; il y serait couché en ce moment, bien au sec, et sans se faire le moindre souci. Puis Ridges aussi le préoccupait. Il aurait dû lui en parler, de ces tempêtes ; il aurait dû y avoir pensé, lui, un vétéran. Il lui fallait également songer à bâtir un abri plus solide que celui-ci. Ses chaussures étaient pleines " d’eau, et il remuait ses orteils pour les réchauffer. Boulot de récurage que tout cela, se dit-il ; celui qui a inventé l’épuisette avait la même expérience que moi.
    Ridges regardait la tempête avec panique et soumission. Les écluses de Dieu débordent, pensait-il. Le feuillage, dans la jungle, -s’agitait avec turbulence, et le gris plombé du ciel lui prêtait un vert si varié, si brillant, qu’il l’imaginait pareil au jardin du paradis. Il percevait la pulsation de la forêt comme si elle eût fait partie de lui-même, et la terre, transformée en une flaque d’or, lui semblait vivre. Il ne pouvait détourner son regard de la verdure fantastique de la jungle, du brun orangé de la terre, fébriles, haletants, comme si la pluie y avait ouvert des plaies. Il se sentait anéanti par tant de puissance.
    « Le Seigneur donne et le Seigneur reprend », pensa-t-il avec solennité. Les orages occupaient une grande place dans son existence ; il avait appris à les craindre, à s’y faire, et finalement à s’y -attendre. L’image de son père lui vint à l’esprit, son visage ridé et rougeaud, le triste et calme regard de ses yeux bleus. « Je te dirai, Ossie, lui avait expliqué son père. Un homme travaille et peine, il paie avec sa bonne sueur, il essaie de tirer son pain de la terre ; et quand le travail est fait, s’il plaît à Dieu l’orage emporte tout. » C’était là, peut-être, la plus profonde vérité que Ridges connût : il lui semblait que son père et lui et leur vieille mule avaient toute leur vie lutté avec la terre nue et les insectes et les fléaux, et que le plus souvent le fruit de leur effort s’en était allé en une seule nuit noire.
    Il avait aidé Goldstein à enfoncer les piquets parce qu’on doit son aide au voisin qui vous la demande, et l’homme qui couche avec vous sous la même tente, serait-il un étranger, est votre voisin ; mais, en son for intérieur, il avait su que leur tentative de consolider l’abri était vaine. « Les voies de la

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